La cérémonie d’ouverture de la 3e édition du Festival du Film Hongkongais de Paris était accompagnée d’un film-évènement dont on avait cessé d’espérer un jour la sortie : Where The Wind Blows de Philip Yung. Tourné il y a de nombreuses années, passé au crible par le comité de censure, monté, remonté, trituré, pour enfin se présenter à nous.
Lui Lok est devenu officier de police pour faire respecter la justice, mais la corruption généralisée au sein de l’institution l’empêche de rester indépendant. Il décide alors de se faire un nom en contrôlant le crime organisé. Lam Kong, gentleman au premier abord, est particulièrement actif au sein de la police et dans les milieux sociaux, jetant les bases d’un empire de corruption qu’il construit avec Lui Lok. Tous les deux sont la tête et les bras travaillant à l’unisson et deviennent respectivement inspecteurs en chef de l’île de Hong Kong et de Kowloon dans les Nouveaux Territoires en 1962. Ils dominent le crime organisé et dirigent des dizaines de milliers de policiers.
Face aux nombreuses difficultés politiques et économiques que le projet de Philip Yung a rencontré au cours de sa production, nous étions en droit de ne plus en attendre un jour la concrétisation. En tant que co-production entre la Mei Ah et la Chine continentale, le film doit répondre au cahier des charges de la National Radio and Television Administration pour espérer une distribution internationale et continentale. L’avant-première avait été annulée trois jours avant le 45e Hong Kong International Film Festival pour « problèmes techniques », et Where The Wind Blows a finalement été présenté l’année suivante lors de la 46e édition.
Pour son nouveau film, le réalisateur de Port of Call (2015) ressasse un épisode charnière de l’histoire moderne de Hong Kong. Lui Lok et Lam Kong sont des personnages historiques très importants dont l’écho ne nous est pas tout à fait parvenu, mais qui continuent de nourrir les inspirations cinématographiques cantonaises d’aujourd’hui. L’histoire du crime, des Triades et de la corruption qui font la renommée de la péninsule, sont indissociables du rôle qu’ils ont tous deux joué au sein des forces de police coloniales au milieu du siècle dernier. Un rôle complexe entre maintien de l’ordre, contrôle des activités criminelles et ascension au pouvoir. Tout comme Port of Call pouvait l’être, le style de Philip Yung se veut très fragmenté, vif et désordonné, ce qui ne va pas en aidant la compréhension déjà confuse de ce récit historique pour le non-initié. Les évènements vont et viennent dans le temps sur une période de 30 ans, de l’occupation du territoire par l’armée impériale japonaise jusqu’aux années 1970, du noir et blanc aux couleurs saturées. C’est autant de faits à raconter et d’intrigues qui s’entremêlent au niveau intime comme au niveau global, au gré des évolutions politiques et sociales de l’ex-colonie britannique, sous ses plus beaux apparats pour certains, dans ses jours les plus sombres selon d’autres. Where The Wind Blows raconte une histoire alternative de Hong Kong au travers de ses activités criminelles qui manifestent très significativement de son identité et qui rendent compte au mieux de la coexistence entre le milieu du crime et celui de la politique coloniale prédatrice.
Dans ce film embrouillé dans son propre tissu narratif, tout est affaire de style, en quelque sorte. Philip Yung travaille en permanence à la dichotomie entre l’iconisation de ses personnages dans un premier temps, à leur démystification dans un second. Lui Kok, interprété par Aaron Kwok, suscite d’abord une forme de pitié héroïque pour sa survie durant la guerre, puis une forme de pitié autrement plus pathétique que sa descente aux enfers ne côtoie son addiction à l’opium et l’impossible deuil de son premier amour. Lam Kong, endossé quant à lui par Tony Leung Chiu-wai, assure l’ordre entre les différentes factions criminelles d’une main de fer mais se révèle fragile et instable lorsque celles-ci lui échappent et cherchent à rompre l’équilibre. De la sorte, Philip Yung s’assure d’un élan de complexité narrative et compose des images cohérentes avec ses personnages dans leurs différents états d’esprit ; des images raffinées, élégantes, romantiques, mais aussi déchainées, troubles et imprécises. Une quantité d’informations faramineuse, indigeste même, se déroule à l’écran au mépris du rythme et de l’importance du temps de pause. Pourtant, étrangement, le film se digère, intéresse, interpelle, et conserve son charme d’époque dans une bulle de fumée de cigarette, de costumes froissés et de décors aussi fastes que de mauvais goût. Dans tous les cas, Where The Wind Flows est un film monumental, écrasé par ses ambitions, mais toujours dans le spectacle et la générosité malgré les sabotages encore bien perceptibles de la censure.
Richard Guerry.
Where The Wind Blows de Philip Yung. 2024. Hong Kong. Projeté au Festival du Film Hongkongais de Paris 2024.