Premier long-métrage de Kim Taeyang, Mimang, continuation du court-métrage Snail, a été présenté en ce 19e Festival du Film Coréen à Paris (FFCP), en présence de son réalisateur. Il s’agit d’une rêverie sentimentale sur le passage du temps, la répétition et l’évolution des relations entre les êtres.
Le film est composé de trois segments, trois rencontres, trois moments où le temps semble faire une boucle sur lui-même, en rejouant sans cesse les mêmes choses. Chaque début de segment réinterprète par un panneau la signification du titre en lui donnant des hanjas différents, accompagnés d’une série de tentatives de traduction (迷妄, approximativement illusion, 未忘, une difficulté à tourner la page et 彌望, le fait de voir au-delà).
Le premier segment, issu du court matriciel, présente la rencontre fortuite d’un homme et d’une femme, en centre ville de Séoul ; ils se sont connus, perdus de vue, et leur chemin se séparent de nouveau après une déambulation dans les rues de la ville. Le second présente la rencontre entre cette femme, conférencière dans un cinéma bientôt fermé, et un autre homme. Enfin, le dernier chapitre présente les retrouvailles du duo initial à un enterrement, et le trajet retour vers le centre ville de Séoul et les lieux de leur jeunesse. Tourné sur quatre ans, le film profite du passage du temps pour jouer sur l’évolution de la ville et des personnages, ni tout à faits autres, ni tout à fait les mêmes.
Le film se révèle être un récit du non-dit, des souvenirs altérés et du passé devenu incertain (qu’il s’agisse du nombre d’années passées, des causes iconographiques du fait que la statue de l’amiral Yi tienne son fourreau de la main droite, sorte de refrain du film, ou de l’hypothèse de l’existence d’un enfant, source de va-et-vient avant l’élucidation finale dans la deuxième partie). Des scènes se rejouent, en changeant les personnages, en passant du jour à la nuit, en revenant trop tard sur les lieux du passé, et dans le même temps on perçoit des bribes de ce qui n’a pas eu lieu.
On pourrait imaginer que le film se place sous le patronage de Hong Sang-soo ou de Rohmer mais, curieusement, le réalisateur se réclame davantage de Tarantino, sans élaborer sur ce point. Voit-il cette filiation dans la présence des chapitres ? Dans la revendication ostentatoire des partis pris techniques ? Il a préféré sourire et passer à une autre question que de répondre…
Chacun des trois segments a son identité propre, avec ses mouvements de caméra spécifiques pour accompagner un type de déambulation différent (latéral, en profondeur, vertical). Le réalisateur se permet même un long plan-séquence en voiture par lequel il a précisé après la projection qu’il veut qu’on comprenne pourquoi l’un des personnages s’endort (sa plaisanterie rappelle celle de la présentation de Days par Tsai Ming-liang, qui affirmait que si on s’assoupissait pendant le film, ce serait un prétexte pour le revivre autrement en retournant le voir et en s’endormant à un autre moment), mais joue aussi sur les ruelles sous une nuit humide (pour évoquer certains plans d’In the Mood for Love). La fin de la troisième partie joue sur un moment d’immobilisation dans un café pour réunir des éléments épars, le cours de dessin du premier segment, l’enfant du deuxième, et proposer une tentative d’expression des non-dits le temps d’une chanson. Mais, déjà, les personnages sont obligés de se remettre en marche sans écouter jusqu’au bout, de repartir à travers les rues de la ville.
Il ne se passe pas grand chose dans ce film, ou, plutôt, ce qui est « important » est hors champ, dans la temporalité des moments oubliés par la narration, seul compte le moment planant de la rencontre et le poids du souvenir. C’est un film esthétiquement très soigné, bien interprété mais surtout très pensé, le réalisateur imaginant les déplacements de la caméra comme une exploration chaque fois différente de l’espace-temps. On ne peut que souhaiter au réalisateur de continuer sa carrière, mais en prêtant garde à ne pas se laisser happer par la tentation du dispositif, pour ne pas aboutir à un résultat trop théorique, ce dont le film se moque d’ailleurs gentiment avec la théorie de l’homme sur le temps et les aiguilles de l’horloge, qui lui semble claire et que les autres personnages ne comprennent pas, mais en tendant vers la dimension poétique de la rêverie du discours sur le film en partie perdu qui occupe le deuxième segment. Certains maniérismes trahissent encore le premier long-métrage, mais il s’agit déjà d’un très joli film et on ne peut qu’être curieux de voir ce que Kim Taeyang fera avec plus d’aisance et d’expérience.
Florent Dichy.
Mimang de Kim Taeyang. Corée du Sud. 2023. Projeté au FFCP 2024.