EN SALLES – Alienoid – L’Affrontement de Choi Dong-hoon

Posté le 21 septembre 2024 par

Deux ans après Alienoid – Les Protecteurs du futur, Alienoid : L’Affrontement continue d’explorer l’interstice brumeux des époques et des imaginaires poreux des quarante dernières années de cinéma. Il évite l’Ouroboros en revenant boucler une boucle qui dépasse celle de la culture de masse qu’il confronte, pour épouser celle plus ancienne de la culture populaire. Choi Dong-hoon semble nouer un nœud autour du cou d’une abomination responsable de la dérive d’un certain cinéma dont il se voudrait le sauveur.

Lorsque les aliens ont envahi la terre ; Ean, jeune protectrice, s’est rendue dans le passé pour tenter d’inverser le cours de l’histoire. Aidée d’Initiés aux pouvoirs légendaires, la jeune femme doit désormais retourner à notre époque pour affronter l’Alien Originel lors d’une ultime bataille décisive pour sauver l’humanité.

Étrange expérience que nous propose la première heure de l’œuvre puisque nous sommes partagés entre deux flux temporels. Cette fois pas entre le passé et le présent intradiégétique mais le présent de l’œuvre et le passé du spectateur. Nous vivons la progression des évènements au présent, et un nouveau regard sur les évènements du passé par l’angle de personnages antagonistes. Le spectateur est encore une fois mis face à sa propre mémoire et à sa propre exploration puisque si le cinéaste, contraint par les impératifs du blockbuster, fait un rappel des évènements du premier volet au début de l’œuvre, c’est le spectateur qui doit faire le travail de se rappeler le revers de la situation qu’on lui montre. L’œuvre joue comme un miroir qui continue le geste entrepris dans le premier et le double. Une logique de kaléidoscope et de puzzle vient donc souligner ce que nous voyons, comme pour remettre l’œil du spectateur au centre de l’œuvre. Pour surmonter la passivité dans laquelle plonge le tout-venant du blockbuster, Choi Dong-hoon injecte une forme de visionnage ludique à son œuvre et la voit comme une expérience nécessaire. On pense à la scène de l’hôpital que l’on revoit d’un autre point de vue et dont la tonalité est changée mais qui résout le mystère du visionnage de la première œuvre. Il y a presque une logique de réponse ou de résolution musicale aux ballets d’images que propose le cinéaste.

Cette structure désarticulée, d’emboîtement fluide, renvoie à la propre consistance des entités qui s’affrontent : entre des monstres organiques dont l’artificialité des CGI double le caractère abominable et entre des robots dont les transformations en pixel semblent nous traduire le jeu de fractales qui définit l’ensemble de l’œuvre. Et bien sûr, entre les deux, dans l’interstice, la magie du cinéma pour les spectateurs « primitifs » du passé auxquels Choi Dong-hoon semble rendre hommage, le merveilleux des mystères des sentiments et des effets burlesques. Par exemple, la scène où la main du jeune homme cachée derrière une cape d’invisibilité apparaît de nulle part derrière le visage de Kim Tae-ri, est un des effets aussi vieux que le cinéma lui-même. Mais dans ce même plan, le cadre est découpée au-delà d’une logique physique d’espace-temps et épouse les possibilités de la conscience, du rêve et de l’imaginaire dont Choi Dong-hoon n’a de cesse de revendiquer. Il y a aussi cette scène où Kim Tae-ri, avec deux pistolets à la main, tire comme dans un John Woo sur des assaillants du passé. Si le cinéaste souligne le pont évident du cinéma hongkongais où les wuxia et les œuvres de heroic bloodshed forment deux faces d’une même pièce d’une œuvre chevaleresque, c’est aussi le burlesque de la scène qui en ressort. La jeune femme sort le deuxième pistolet avec une réplique drôle, avant de courir dans un décor anachronique à ce genre de séquences. C’est une sorte de meta-burlesque auquel nous assistons car la scène est drôle par les aléas des corps et de la matière présente mais également par les images auxquelles elle renvoie, comme pour nous rappeler qu’il y a aussi une part de drôlerie dans l’existence même de ce genre de fusillades au cinéma. Pourtant le cinéaste ne parodie pas ces œuvres, il les épouse dans leur totalité, dans leur burlesque contraint à leur poésie mélancolique.

Si le spectateur, comme les héros du premier volet, devait prendre conscience de leur solitude comme d’un vertige intrinsèque à leur existence, ce deuxième volet est justement celui de la solidarité voire de l’amour. Le cinéaste tente de réunir le spectateur à lui-même en offrant les images manquantes de son œuvre comme il tente de lui rappeler que le cinéma, à l’instar d’un art magique, peut l’accompagner dans cette solitude existentielle et qu’il permet de réaliser ce que nous partageons. Si l’emphase est faite sur les transformations, les effets, la magie et la technologie, c’est parce que c’est l’ingénierie nécessaire à l’illusion trouble du cinéma. Les fractales qui constituent la technologie alien sont comme des échos des pixels qui constituent l’image. Si les écrans peuvent fractionner et délier la continuité du réel au point de même berner les alchimistes et les sorciers, ils peuvent aussi lier les individus au-delà de l’espace et du temps. C’est cette dualité du cinéma que Alienoid épouse avant de choisir son camp.

Dans la séquence finale parfois brillante qui se déroule dans un train, métaphore même du cinéma s’il en est, les enjeux de l’ensemble de l’œuvre vont se cristalliser dans l’affrontement. Les corps, comme des vases communicants, feraient dérailler le train du cinéma quand ils sont trop plein du même « mal ». Cette affliction est l’abomination numérique et ce n’est pas un hasard que le monstre alien ressemble à tous les monstres que l’on a vu durant la dernière décennie au cinéma. C’est l’incarnation de la mauvaise utilisation des CGI comme d’une forme sans chair. Il possède tout et s’introduit partout, il provoque des évènements qui « souillent » l’image au lieu de la porter par la mystique dont se revendique les plus anciens. C’est contre ça que les héros de l’œuvre veulent lutter par le burlesque, les effets les plus simples mais aussi la réintroduction d’une merveilleux par la technologie mêlée à un geste enfantin qui pourrait contenir l’univers sur un pare-brise de voiture. C’est évident quand le personnage de Kim Tae-ri revient dans sa chambre pleine de bande dessinés et d’images, et qu’elle place la photo usée à coté de la photo récente. L’image porte les stigmates du temps mais elle existe toujours comme elle a existé, ce n’est qu’une image et c’est à la fois sa limite autant que son étrange pouvoir. Le spectateur est poussé à se souvenir que le cinéma pour lequel Choi Dong-hoon lutte existait, et peut continuer à exister, celui de James Cameron comme celui de Stephen Chow. Ce cinéma hybride qui, pour montrer l’amour, l’amitié, la tristesse ou la peur se drape des illusions techniques les plus complexes pour s’introduire dans notre esprit comme si nous étions spectateur de nos rêves. La solitude du spectateur est comblée par la solidarité dans le cadre qui pourrait lui montrer qu’un autre monde est possible. C’est une déclaration d’amour à un certain cinéma populaire qui lutterait contre la massification informe que Choi Dong-hoon ferait à sa manière. Il exorcise le cinéma de la possession numérique qui a fait de lui un corps en mouvement mais sans vitalité, une marionnette aux ambitions standardisées. Si la trame magique des chamanes, alchimistes et sorciers sonnent juste dans la mystique chinoise qu’elle ramène, c’est dans la notion d’équilibre. Le cinéaste ne rejette pas les effets, il souhaite retrouver un équilibre qui selon lui aurait existé dans les œuvres dont il n’a de cesse de citer, celle du cinéma chinois ou américain. C’est bien là, le geste d’un cinéaste coréen que de tenter de trouver un équilibre entre l’Orient et l’Occident dans le pays où le drapeau représente l’équilibre des forces taoïstes (les couleurs dominantes de l’œuvre ne sont-elles pas le bleu et le rouge ?). Mais s’il fait un tour sur une histoire du cinéma, l’anamnèse va plus loin dans la culture que celle du cinéma. L’œuvre se conclut par l’amorce d’une romance xianxia, entre les deux protagonistes. Ce type de romance transcendantal est l’un des genres anciens et surtout ultra populaires de la littérature chinoise qui correspond au passage du pays d’un empire à une république mais aujourd’hui de la télévision sino-coréenne (Goblin, Eternal Love). Il met souvent en scène des personnages qui transcendent le temps dans des œuvres qui transcendent les époques et les générations, comme une variation d’un rêve partagé sans fin. La boucle est bouclée.

Kephren Montoute

Alienoid – L’Affrontement de Choi Dong-hoon. Corée. 2024. En salles le 28/08/2024