Le stakhanoviste Adilkhan Yerzhanov est de retour pour son passage annuel à L’Étrange Festival. Il revient cette fois-ci avec un apocalyptique western urbain, continuant dans sa veine poétique ultraviolente et absurde : Steppenwolf.
Le fils de Tamara se fait enlever par des trafiquants d’organes. La jeune femme va alors faire appelle au « Loup des Steppes », ex-détenu travaillant pour la police et servant d’instrument de torture à l’institution judiciaire. Un voyage absurde commence alors entre nos deux personnages, dans un Karatas en ruines et soumis à la violence armée.
La force formelle du cinéaste n’est plus à prouver : Yellow Cat, avec sa science du cadre et sa colorimétrie primaire apparaissait alors comme pinacle visuel du style toute en retenue de Yerzhanov. On retrouve ici ce sens du cadre et son aspect pictural si particulier dans chaque plan du film. Chaque surcadrage vient magnifier le sujet à l’écran et chaque composition minutieuse donne à voir un tableau poétique allant du paysage flirtant avec la nature morte au monochrome intriguant dans une flaque de sang. Là réside une partie du génie poétique de Yerzhanov : dans sa capacité à faire du visuel de son film un élément poétique à part entière, qui se suffit à lui-même et marche en autonomie totale des autres éléments du film.
Mais malgré cette autonomie, la poésie ne réside pas seulement dans le simple aspect visuel du film. L’écriture du cinéaste se veut tout aussi incisive que son acuité à faire de belles images. Tout repose sur le duo très atypique entre le loup des steppes et Tamara : le premier, figure ultraviolente et cynique, sème la mort derrière son passage et ne laisse aucune issue réjouissante à qui le croise. La seconde, figure même de l’innocence, semble être une pulsion de vie immortelle, survivant à tout. L’une représente le bien, un bien impossible et une pulsion de vie rongée par la mort, l’autre représente le mal, un mal qui contamine aussi bien les personnages que leur environnement. Dans leurs interactions, un yoyo permanent se fait entre l’une et l’autre notion morale créant un décalage aussi beau qu’hilarant.
Le cinéma de Yerzhanov se caractérise aussi par son humour très particulier. Souvent pince-sans-rire, amer et absurde, le rire chez le cinéaste se fait la plupart du temps aux dépens de ses personnages. Ici n’est pas coutume, il rajoute un vernis de burlesque noir au récit : se mélangent alors un cynisme et un nihilisme total avec une certaine bienveillance, à l’image même de notre duo de personnages principaux.
Le tout se déroule dans un Karatas qui n’a jamais semblé aussi apocalyptique que dans ce film. La ville semble ravagée par une guerre civile, la police se faisant décimer en début de film par une force armée terroriste et le personnage principal tuant tout ce qu’il trouve sur son passage, même les personnages les plus innocents. Cet aspect apocalyptique se voit renforcé par une étonnante citation de Mad Max qui vient ponctuer le long-métrage. Là aussi se joue tout l’aspect poétique du film, dans ses références incongrues (à la peinture classique comme contemporaine, tout comme au cinéma le plus traditionnel au plus étonnant) et sa capacité à construire une esthétique du collage au sein de son système poétique.
En bref, Steppenwolf est une réussite à tous les niveaux. Western urbain poétique et burlesque, romantisme noir désabusé et ingénu à la fois, le dernier long-métrage de Yerzhanov se renouvelle sans cesse dans un chaos stylistique permanent, matrice esthétique puissante pour le cinéaste qui ne finit pas de nous surprendre.
Thibaut Das Neves
Steppenwolf d’Adilkhan Yerzhanov. Kazakhstan. 2024. Projeté à L’Étrange Festival 2024.