Critique : Les Huit vertus bafouées de Ishii Teruo

Posté le 19 novembre 2012 par

Ishii Teruo réalise avec Les Huit vertus bafouées un objet déviant, psychédélique et délirant, typique de ses productions les plus réussies de cette période. Le ton du film se situe au carrefour de sa célèbre série des Joys of Torture (dont il tira 8 films entre 1968 et 1973) et des objets plus pops et étranges qu’il réalisa après celle-ci comme les excellents Female Yakuza Tale avec la belle  Ike Reiko ou encore Blind Woman’s Curse avec la non moins fameuse  Kaji Meiko. Par Justin Kwedi.

Shino, un samouraï errant qui loue ses services au plus offrant, est sur le point de mettre fin à ses jours. Mais sa rencontre avec deux prostituées, membres d’une organisation qui alimente les bordels en chair fraîche, le fait changer d’avis. Engagé par l’organisation, Shino supervise à sa manière la sélection des nouvelles recrues.

L’ouverture par son extravagance formelle annonce d’emblée un spectacle déjanté de la part d’un  Ishii Teruo au sommet de son art.  Tamba Tetsuro, encerclé au milieu d’un pont par une horde d’assaillants, les décime furieusement tandis que les étincelles du contact des lames et les éclaboussures de sang inondent l’écran pour former les crédits du générique… L’éclairage du décor studio par du rouge baroque aux ténèbres les plus oppressantes, illustrant la rage émoussée de Shino (Tamba Tetsuro) las de cette vie de samouraï assassin et qui va se laisser noyer pour enfin trouver la paix (ou un autre enfer dans l’au-delà comme le leitmotiv désabusé du film le répète). C’est sans compter le sauvetage par une mystérieuse organisation criminelle qui va l’engager pour ses basses besognes. Celle-ci se caractérise par son renoncement à toute forme d’humanité reposant sur les fameuses huit vertus comme l’amitié, la compassion, l’amour…

Si certains Pinku Eiga recèlent sous leurs excès d’étonnantes tendances féministes ou libertaires (La femme scorpion avec  Kaji Meiko, Le couvent de la bête sacrée de  Suzuki Norifumi), il n’en est rien ici avec un  Ishii Teruo faisant subir les derniers outrages à ses personnages féminins. L’organisation étant spécialisée dans le proxénétisme, les scènes de « formation » des recrues féminines démontrent toute l’inventivité sadique du réalisateur, l’intrigue tournant autour de la concurrence féroce entre les maisons closes traditionnelles et les nouveaux lieux de plaisir que sont les bains publics, les restaurants et leurs hôtesses accueillantes. Notre héros Shino est donc chargé d’éradiquer cette concurrence déloyale et va multiplier tueries et humiliations en tout genre jusqu’à devenir aussi gênant pour ses commanditaires que pour ses ennemis. Tamba Tetsuro, stoïque et impassible, est paradoxalement le personnage le plus humain, le détachement affiché dans ses exactions témoignant d’une mélancolie dont les raisons resteront obscures. Acteur dont on se souvient plus des prestations dans un versant plus prestigieux du cinéma nippon (Hara-Kiri, Kwaidan, Trois samouraïs hors-la-loi), il apporte une certaine noblesse héroïque dans un récit totalement amoral.

On n’aura ainsi guère de compassion pour les figures féminines qui, modelées pour être impitoyables, sont toutes ici des figures de traîtrise, de séduction et d’avilissement. Chaque semblant d’élan de compassion envers elles s’avère biaisé, puisque révélant une manipulation (la fille de samouraï vendue aux enchères, les gardes du corps de Shino ignorant qu’il les a sauvées) de la part de ce casting féminin qui passe plus de temps poitrines et fesses à l’air que kimono sur le dos.

Verdict : Visuellement, c’est un véritable festival que nous offre là  Ishii Teruo. Les idées folles s’enchaînent sans interruption, tel cet incendie éteint par une armée de femmes se roulant dans les flammes,  Tamba Tetsuro sauvé d’une mort frigorifiée par des femmes nues se frottant à lui pour le réchauffer ou encore une longue orgie au sexe et à l’opium à la photo gorgée de filtres de couleurs et aux cadrages déroutant. Le final où Tamba affronte une armée diminué par l’opium et se mutile volontairement pour en atténuer les effets est un grand moment, maelström de couleur, de membres coupés et de poses viriles dans le plus pur style manga. Comme souvent avec Ishii Teruo, le cinéma d’exploitation tordu et virtuose est à son plus haut dans cet excellent film.

Le coffret DVD Sex & Fury Vol1. est disponible chez Métropolitan depuis le 12 novembre.

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