En attendant The Moon Warriors (1992) de Sammo Hung et Guerres de l’ombre (1990) de Ringo Lam en août, Carlotta poursuit dès le mois de juillet son exploration du cinéma de Hong Kong avec la sortie en Blu-Ray du Moonlight Express (1999) de Daniel Dee dans une copie restaurée. Un film symptomatique de la génération rétrocession qui se marie à merveille avec l’édition conjointe du Bullets Over Summer (1999) de Wilson Yip.
Après la mort tragique de son fiancé Tatsuya, disparu dans un accident de voiture, Hitomi décide de partir pour Hong Kong où le couple avait prévu de s’installer. Là-bas, la Japonaise croise la route de Karbo, un policier local infiltré qui ressemble trait pour trait à son amour perdu. À mesure que les deux jeunes gens apprennent à se connaître, l’attirance qu’ils ressentent l’un pour l’autre se fait plus forte. Et lorsque Karbo, trahi par ses pairs, voit sa mission échouer, Hitomi choisit de fuir avec lui.
Alors en pleine période de reconfiguration, le cinéma hongkongais de la fin des années 1990 n’a plus la forme d’autrefois. Plus sombre, plus mélancolique et désespéré, les évènements récents de la rétrocession ont métamorphosé l’industrie cantonaise en une sorte de bouillon où autant de nostalgie que de radicalité nouvelle se rencontrent. C’est dans ce contexte tumultueux que Moonlight Express voit le jour, résultat d’une coproduction entre le Japon et l’ex-colonie britannique, avec l’actrice Takako Tokiwa pour représenter l’un, le regretté Leslie Cheung sur l’un de ses derniers rôles pour représenter l’autre.
Si Daniel Lee produit aujourd’hui des blockbusters pour le compte de studios continentaux, il n’en reste pas moins un nom important du Hong Kong des années 1990, à qui l’on doit notamment Black Mask (1996) avec Jet Li et, donc, Moonlight Express, un thriller romantique gorgé des bonnes idées qui font la signature esthétique si particulière de ce cinéma. Le Hong Kong qui nous est ici présenté est, à l’image de son époque, crépusculaire, teinté de couleurs criardes et nappé de brume. Dans cet espace aggloméré, les destins d’une jeune Japonaise endeuillée et d’un policier sous couverture se croisent, avec toute la poétique du hasard qui nous est maintenant familière depuis Wong Kar-wai et bien d’autres.
Infusé de nombreux genres et placé sous le signe de la dualité, Moonlight Express emprunte en premier lieu les codes du « undercover cop » pour raconter les identités conflictuelles du personnage de Leslie Cheung : flic infiltré aux yeux de ses collègues, jeunes rookie pour les triades, et surtout figure fantomatique de l’amour perdu du personnage de Takako Tokiwa. Tous deux se retrouvent et se consolent comme des âmes meurtries dont les tragédies personnelles empêchent toute blessure de se refermer. Le charme pudique de Takako Tokiwa se heurte au profil mystérieux de Leslie Cheung, donnant lieu à des scènes d’une sensibilité rare dans le cinéma de Hong Kong, mais aussi à de vrais instants de malaise névrosé, comme lorsque la jeune Japonaise, incapable de franchir le deuil, choisit délibérément de remplacer Leslie Cheung par l’image de son défunt compagnon pour lui faire les adieux que la mort lui a interdit. Ralentis, plans débullés et effets en tout genre témoignent d’une volonté d’incarner l’ensemble par une mise en scène très stylisée, au demeurant parfaite pour traduire l’atmosphère fiévreuse qui parcourt le métrage. Les apparitions inattendues de Jack Kao et de Michelle Yeoh au casting finissent de convaincre que Moonlight Express est bien une romance tragique de haut vol, aussi juste et attendrissante que désespérée.
BONUS
Making-of (23mnt) : en toute simplicité, les coulisses du tournage ponctuées de commentaires des équipes et de clés de lecture qui ajoutent une nouvelle dimension émotionnelle à l’histoire. Grand bonheur de constater que tout le monde semble avoir pris plaisir à réaliser ce projet. Un film définitivement attachant dans tous les sens du terme.
Richard Guerry.
Moonlight Express de Daniel Lee. 1999. Hong Kong. Disponible en Blu-Ray le 02/07/2024 chez Carlotta.