CINÉMA INTERDIT 2024 : The Dog and Catfish de Yamanouchi Daisuke – Beyond Good and Evil

Posté le 15 juin 2024 par

Dernier film de Yamanouchi Daisuke, cinéaste aussi confidentiel que culte, The Dog and Catfish était présenté en avant-première mondiale à Cinéma Interdit ! Réalisateur très rare dans nos contrées, d’autant plus rarissime dans nos salles, nous avons pu découvrir en exclusivité ce film complètement fou !

Un homme rentre de prison, sa femme l’attend et s’occupe de sa mère. Une jeune femme colle des affiches à la recherche de son chien perdu. Un couple de bénévoles se trompent mutuellement. Tout ce petit monde se croise et se recroise dans ce petit film fleuve

Qui est Yamanouchi Daisuke ? Cinéaste culte de l’ère du V-Cinéma, il se démarque par ses productions extrêmes au style bien particulier. Il s’est exporté surtout aux États-Unis plutôt qu’en France à travers quelques éditions vidéos aussi rares que rances, mais il reste tout de même assez confidentiel dans les deux pays et a difficilement dépassé les frontières nippones. Pourtant, le cinéaste possède un style particulier qui n’est jamais effacé par l’aspect très putassier de sa filmographie (où sexe déviant et violence extrêmes se croisent sans arrêt). De son petit chef-d’œuvre Muzan-e à l’hilarant Red Room, tout en passant par le dramatique Girl Hell 1999 ou bien le fou Kyoko VS Yuki, le cinéaste cache derrière la sueur et le sang tout une palette d’émotions que l’on ne soupçonnerait pas dans de telles productions. Et c’est bien ce que nous retrouvons, près de 35 ans après ses débuts dans l’industrie, dans cet étrange The Dog and Catfish, avec toujours la même véhémence, la même intensité et la même capacité à mélanger genres et émotions radicalement différentes au sein d’un même métrage.

La forme du film fleuve, bien que se situant ici dans un film très court, correspond parfaitement à The Dog and Catfish. Ce passage incessant d’un personnage à l’autre donne le tempo poétique de l’œuvre : nous voguons à travers les tons, tantôt le comique, tantôt le dramatique, tantôt l’étrange et l’horreur, tantôt le quotidien et le banal. Le tout avec pour fond une grande bataille entre le bien et le mal puisque, ce qui réunit tous les personnages, est une organisation sous l’égide d’un démon poisson-chat qui s’oppose au bien, matérialisé par une femme au visage marqué dans une maison maculée de blanc. Cette lutte du bien contre le mal, caricaturée à souhait, n’est pourtant pas sans nuances : les personnages du mal ne sont au fond que des fonctionnaires, quand ceux du bien flirtent avec l’escroquerie de masse. Ainsi, cette coupure aussi binaire que nuancée pourra faire penser à la lutte entre l’ordre et le chaos que l’on retrouve dans les Megami Tensei, où bien et mal ne sont que des entités figées dans lesquelles des personnages aussi divers que variés se regroupent, malgré une certaine inclinaison caricaturale vers ce qu’ils représentent de bien ou de mal allégoriquement. Ce qui donne donc au film ce charme étrange : autant il présente une lutte des forces du bien contre celles du mal de manière totalement innocente, autant il se moque un peu de cette dichotomie brute et, tout en la traitant malgré tout, s’amuse de la vanité d’un tel combat tout comme de la prétention à vouloir le dépeindre. C’est pourquoi la forme du film fleuve prend tout son sens : la thématique, noyée par les personnages et leurs divers micro-récits s’entre-imbriquant, se voit diminuée à l’extrême tout en étant ce qui relie chacun des personnages les uns aux autres. Cette toile de fond apparaît à la fois comme d’une importance capitale et d’une insignifiance totale. En bref, The Dog and Catfish est ce qu’aurait dû être L’Empire de Bruno Dumont dans sa dissection de la lutte entre bien et mal, avec autant d’humour, de mélancolie et de sérieux pris à la légère.

Derrière cette lutte grandiloquente se cache donc un film fleuve avec des personnages tous attachants tant dans leur monstruosité que dans leur humanité. Yamanouchi n’est pas un inconnu des personnages monstrueux : de la brochette d’individus de Red Room prête à toutes les bassesses pour de l’argent au père violent et violeur de Girl Hell 1999 (sans parler du milieu du porno filmé de manière particulièrement crasse dans Muzan-e), le cinéaste est coutumier des ordures. Pourtant, ici, afin de montrer une nouvelle fois cette porosité entre bien et mal, il présente des personnages qui restent toujours aussi bons que mauvais. Le couple de bénévoles, par exemple, dont l’un des deux est professeur, se trompe mutuellement. La femme, avec un sans-abri qu’elle a pris en pitié. Le professeur, avec un personnage qui, cherchant son chien, se déguise en jeune écolière ce qui lui plaît énormément. L’immoralité crasse de la situation entre le professeur et la cosplayeuse se déguisant en jeune fille contraste avec la trahison pieuse de sa femme, qui contraste aussitôt avec sa propre activité de bénévole ainsi que d’enseignant. De manière très chrétienne, il y a une certaine logique de « nous sommes tous pécheurs, ne jugeons pas notre prochain » qui se dégage. À la fois de manière très candide, où chaque personnage n’est jamais regardé sous un angle moralisateur malgré une certaine immoralité de leurs actions (typiquement, le professeur aux fantasmes impliquant des élèves) mais aussi de manière très caustique (où la référence à la chrétienté est volontairement associée à une dérive sectaire moyennant beaucoup d’argent derrière cette amoralité très sage, mais en demi-teinte). Et c’est bien cet entre-deux qui fait tout le charme du film : il est à cheval entre le plus grand sérieux, aux accents auteuristes les plus simples et poétiques et les excès les plus grotesques et propres à un cinéma un peu plus impur, beaucoup plus goguenard et non plus suffisant, mais conscient de lui-même.

Ainsi est le dernier film de Yamanouchi : un étrange film fleuve assez court, aux enjeux aussi mystiques que flous, mais incontestablement un très bon film de la part du cinéaste. On est heureux de voir que, plus d’une vingtaine d’années après ses films qui se sont le mieux exportés, le réalisateur continue avec un certain talent sa filmographie toujours radicale et toujours aussi singulière.

Thibaut Das Neves

The Dog and Catfish de Yamanouchi Daisuke. 2024. Japon. Projeté à Cinéma Interdit 2024

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