VIDEO – Shogun’s Samourai de Fukasaku Kinji

Posté le 7 juin 2024 par

Shogun’s Samourai est une fresque historique offrant dans le Japon médiéval une variation des intrigues de palais et les luttes de pouvoirs chères à Fukasaku Kinji dans ses films de yakuzas. Le film est disponible dans une belle édition chez les nouveaux venus de Roboto Films. Film par Justin Kwedi ; Bonus par Maxime Bauer.

Le shogun Hidetada est retrouvé mort, empoisonné. Ses fils, Iemitsu et Tadanaga, se livrent une guerre de succession acharnée. Le shogunat est en jeu, et le mentor d’Iemitsu est prêt à tout pour assurer la succession de son seigneur. Autour d’eux, le Japon se divise plus que jamais entre ralliements et trahisons.

Shogun’s Samourai est une des productions les plus ambitieuses et nanties de Fukasaku Kinji. Le film amorce un virage plus éclectique pour le réalisateur après des années 70 de hautes volées où il enchaîne les chefs-d’œuvres dans sa déconstruction de la figure du yakuza avec la saga Combats sans code d’honneur (cinq films puis une trilogie) et des diamants noirs comme Guerre des gangs à Okinawa (1971),  Okita le pourfendeur (1972), Le Cimetière de la morale (1975), Police contre Syndicat du crime (1976). Il va élargir son registre dans les années suivantes, notamment sur le space opera Les Evadés de l’espace (1978) ou le film catastrophe Virus (1980), mais plus spécifiquement sur le jidai-geki avec Shogun’s Samourai. Ce dernier en est un pendant rigoureux et réaliste quand des œuvres plus tardives s’avéreront plus extravagantes comme Samurai Reincarnation (1981) ou La Légende des huit samouraïs (1983).

Le point de départ de Shogun’s Samourai repose sur une base historiquement avérée, à savoir la rivalité entre les deux frères Iemitsu (Matsukata Hiroki) et Tadanaga (Saigo Teruhiko), en lutte pour la succession de leur père Tokugawa Hidetada et le pouvoir du shogunat. Le scénario retombe sur ses pattes réalistes lors de la conclusion, tout en ayant suggéré dans l’attitude des personnages et une voix-off omnisciente que l’histoire officielle est une relecture des évènements auxquels nous avons assisté. Fukasaku travaille un mélange de clarté et de confusion dans son récit, en dressant une hiérarchie claire des forces en présence, tout en nous perdant dans la multitude des protagonistes affectés par les ambitions des puissants. Yagyu Tajima (Nakamura Kinnosuke), maître d’armes et éminence grise de Iemitsu, va ainsi manœuvrer pour faire miroiter le pouvoir au fils mal-aimé et le dresser contre son frère. Tournant les imprévus à son avantage, anticipant les mouvements adverses par son talent de stratège et n’hésitant jamais à faire des victimes collatérales au sein de sa famille, des alliés ou des innocents, c’est un monstre dévoué au prestige Tokugawa. Fukasaku nous promène des hautes sphères à la petite main que sont les soldats, l’entre-deux étant représenté par des samouraïs servant leur maître ou des ambitions personnelles. Le casting prestigieux (Sonny Chiba, Tamba Tetsuro, Mifune Toshiro…) et les jeunes pousses charismatiques (Sanada Hiroyuki) permettent de trouver ses repères dans le large spectre social parcouru par le film, les intrigues de palais s’entrecroisant aux batailles spectaculaires, aux joutes plus intimistes et aux pièges raffinés.

Fukasaku a disposé de moyens considérables et impressionne par le style hiératique avec lequel il illustre l’intimité des complots dans les scènes d’intérieur. A l’inverse, un cinémascope majestueux magnifie la beauté des décors, capture l’éclat des paysages naturels et le climat belliqueux en y saisissant à perte de vue les armées et leur innombrables figurants. Le réalisateur ne s’est cependant pas délesté de la nervosité de ses films de yakuzas durant les moments de bravoures. Zooms agressifs, caméra à l’épaule et montage heurté agrémentent les scènes de batailles dans un pur chaos organisé, tandis que les scènes de duels oscillent entre épure et démesure. Les velléités réalistes n’empêchent pas quelques excès, mais l’ensemble évite pour l’essentiel les penchants plus outrés d’un Baby Cart ou d’un Lady Snowblood. Fukasaku retrouve ici Sonny Chiba qu’il lança au début des années 60. Entre-temps, Chiba est devenu le roi de l’action au Japon avec son école de cascadeurs, la JAC (Japan Action Club), qui alimente toute l’industrie. Shogun’s Samourai ne cède donc certes pas au manga filmé et bariolé, mais s’orne de quelques cascades périlleuses où l’on sent indéniablement la patte de la JAC, telle cette impressionnante chute d’une falaise qui verra la disparition tragique de Akane (Shihomi Etsuko), fille de Yagyu.

Tout cet enchevêtrement de complots et de tueries inutiles semble, sous le poids des sous-intrigues et personnages, ne conduire que vers une tyrannie où seuls les faibles sont perdants. Le discours final de Iemitsu parvenu à ses fins est éloquent : de jeune homme gauche dépassé, il s’est mué en un monstre énumérant avec un sentiment revanchard les morts qu’il a semées pour parvenir au pouvoir. Un objectif qui ne semble que conduire à la folie et à la solitude, comme le montrera la cinglante conclusion. Fukasaku dans Shogun’s Samourai  marie parfaitement son style rugueux avec la tradition des chambaras les plus socialement vindicatifs des années 60.

BONUS

Entretien avec Olivier Hadouchi (24 min). L’auteur du livre Kinji Fukusaku, un cinéaste critique dans le chaos du XXe siècle répond à des questions pertinentes élaborées par l’éditeur. Il démontre ainsi, par la lorgnette de Shogun’s Samurai, que Fukasaku Kinji ne cesse de réitérer un discours sur le pouvoir à travers tous les genres de films qu’il a abordés et tous les environnements de production, de ses yakuza eiga au budget modeste jusqu’à ce mastodonte du chambara produit par la Toei. Il développe le rapport propre du réalisateur au pouvoir et son enragement, qu’il place à côté de ceux de Wakamatsu Koji et Adachi Masao, et l’éloigne de Quentin Tarantino, dont les nombreux clins d’œil au cinéaste japonais dans le cinéma de l’américain ne saurait, selon Hadouchi, atteindre la vision politique de Fukasaku.

Entretien avec Jean-François Rauger, 2e partie (14 min). Le programmateur de La Cinémathèque française continue de développer son propos sur Fukasaku (la 1ère partie est disponible sur l’édition Roboto Films de Violent Panic: The Big Crash) et à quel point son œuvre est singulière dans le cinéma japonais d’alors : avec la volonté de décrire le Japon comme société malade à l’après-guerre, il se rapproche de la Nouvelle Vague japonaise, sans en faire partie puisqu’œuvrant dans les studios. Rauger met l’accent sur son style de prises de vue, volontairement confus, et énumère les différents genres de cinéma dans lesquels il a travaillé en classant ce qui relève de la dimension « auteur » avec la répétition de motifs et les films à part dans sa filmographie.

Shogun’s Samourai de Fukasaku Kinji. Japon. 1978. Disponible en Combo DVD/Blu-Ray en mai 2024 chez Roboto Films