Des premiers pas hésitants à sa récente explosion de popularité, les plus de cent années d’existence du cinéma coréen valaient bien une monographie. Fort d’innombrables heures de visionnage et d’une passion sans failles, Bastian Mereisonne en assume la charge et nous livre, avec Hallyuwood : le cinéma coréen, un résultat à la hauteur du défi.
Parasite, Mademoiselle, Burning… autant de films qui, du fait de leur succès international, ont mis la lumière sur la production cinématographique coréenne et son incroyable diversité. Depuis ses prémices, quand des extraits filmés étaient diffusés lors de spectacles, au début du XXe siècle, jusqu’à l’engouement qu’il connaît aujourd’hui, le cinéma coréen a traversé des crises et des périodes de créativité superbes. S’inspirant d’ailleurs, inventant des genres et créant des esthétiques qui lui sont propres il est l’un des plus inventifs du monde.
Cette monographie exceptionnelle propose une plongée dans l’histoire de la Corée et de son septième art, donnant des clefs pour la comprendre, et des envies de salles obscures.
Alors que le cinéma coréen, et plus largement la culture coréenne, connaît une expansion grandissante au niveau mondial, quel meilleur moment que celui-ci pour remonter le chemin, en examiner les détours et les décennies de vagues (les fameuses hallyu du titre) l’ayant mené là où il est aujourd’hui ?
Hallyuwood trouve sa forme dans ces périodes qui se succèdent (des débuts aux fondations, de l’âge d’or au déclin, de la parenthèse enchantée à la crise puis au renouveau et à une nouvelle ère), vont et viennent, émergent et reculent au gré des évolutions du pays. Si l’on dit que l’art prend le pouls d’une société, c’est d’autant plus exact dans le cas de la Corée, dont l’évolution du cinéma est indissociable des mutations politiques, sociales, économiques et aspirationnelles de sa population. En mêlant le chronologique et le thématique, chaque section aborde un type de film très spécifique à la production de l’époque, et Bastian Mereisonne contextualise minutieusement ses observations. Il nous fait ainsi prendre la pleine mesure du lien particulier qui s’est formé entre l’histoire de la Corée et son cinéma. Au fil des époques et des régimes, il est à la fois un instrument de propagande et un moyen de résistance, un art de la subversion ou un biais vers la respectabilité, sans cesse sur le fil et sans cesse en mouvement. L’auteur nous fait alors ressentir la fascinante ambivalence d’un cinéma souvent audacieux mais tout aussi souvent en prise avec la place cruciale qu’il a occupé d’emblée, dans la poursuite des intérêts d’une conjoncture donnée.
Le cinéma coréen, c’est ce qui contribue en partie à son succès, est rempli de petites subtilités, d’influences multiples et de concepts propres qui séduisent immédiatement et se révèlent au fur et à mesure que l’on gagne en familiarité. Formidablement documenté et doté de fines analyses, Hallyuwood est autant un trésor d’informations pour les connaisseurs qu’une porte d’entrée accessible aux novices. En effet, très loin d’une énumération de dates et de titres, il est une lecture réjouissante et assez ludique. Si le découpage par typologie de films, de plus en plus conséquente à partir de la fin des années 40, entraîne quelques redondances, la fluidité de l’écriture et la clarté de la ligne directrice permettent d’éviter le sentiment du trop plein d’informations qui aurait pu arriver après quelques chapitres. Plus essentiel encore, il se dégage de l’ouvrage, l’enthousiasme de son auteur à transmettre sa passion et ses connaissances au lecteur. De ses analyses souvent très personnelles à l’emploi généreux du terme « chef-d’œuvre », Bastian Mereisonne donne vie aux films qu’il cite sur la page et nous donne une envie folle de les découvrir ou les redécouvrir (la liste des films à voir s’allongeant ainsi de quelques années).
Première monographie sur le cinéma coréen, Hallyuwood est l’occasion d’évoquer les périodes de « creux » de ce cinéma, plus méconnues mais informant de manière tout aussi passionnante sur l’influence de l’époque dans la création. Les années 90/2000 avec la seconde Nouvelle Vague coréenne de Kim Ki-duk à Hong Sang-soo ont fait l’objet de nombreux écrits, tout comme les parcours des maîtres Kim Ki-young, Im Kwon-taek ou Lee Chang-dong, et bien sûr ceux du trio de la génération 386 (Bong Joon-ho, Park Chan-wook et Kim Jee-woon). Par ailleurs, les débuts du cinéma coréen avaient été évoqués en détail dans l’excellent livre de Kang Chang-il, du même nom, publié en 2020. Néanmoins, on connaissait moins les années 70 avec la cohabitation surprenante des films anti-communistes et du phénomène des films d’hôtesses de bar ou encore cette vague de comédies slapsticks des années 90, produites par les corporations dans une optique d’expansion stratégique. Truffé d’anecdotes étonnantes, de commentaires affutés, de destins incroyables (les vies tragiques de Na Un-gyu et Lee Man-hee, et celle, épique, de Shin Sang-ok), de récits de tentatives flamboyantes (le collectif l’Ere de l’Image, les films du Mouvement Minjung), Hallyuwood est un bel hommage à l’existence romanesque et mouvementée du cinéma coréen.
L’ouvrage nous embarque avec délice dans cette histoire de création(s) stimulée par la revendication, chahutée par la censure ou par les crises, démontrant une formidable capacité à s’adapter, à se modeler et à, finalement, se réinventer, pour le meilleur ou pour le pire, à travers les cycles de son histoire et de l’Histoire. On sort de cette lecture vivifiante avec une meilleure compréhension des enjeux de la culture coréenne en général, de son cinéma en particulier et des envies de films plein la tête. Enfin, après avoir lu tout cela, on renoue avec l’espoir, dans une période où le cinéma coréen semble traverser une petite panne créative entre la standardisation des productions à destination des plateformes et les effets du Covid sur le secteur, qu’un nouveau cycle arrivera bientôt. Ce n’est qu’une histoire de vagues après tout.
Claire Lalaut
Hallyuwood : le cinéma coréen de Bastian Mereisonne. Paru en octobre 2023 aux éditions EPA.