En combo avec The Girl Who Leapt through Time, Spectrum Films propose dans son coffret Blu-Ray un second film du trop rare réalisateur japonais culte Obayashi Nobuhiko : The Aimed School, sorti en 1981 et aussi connu sous le titre de School in the Crosshairs.
Mitamura Yuka est une élève modèle au lycée. On la charge d’aider son petit-ami Kouji, un kendoka peu talentueux, dans ses révisions. Mais lorsqu’un enfant est sur le point d’être renversé par un camion, Yuka constate qu’elle dispose de pouvoirs psy lui permettant de ralentir l’action de quelqu’un ! C’est alors qu’une nouvelle élève, également dotée de pouvoirs psy, fait sa venue dans l’école et s’annonce être une menace…
Sorti deux ans avant The Girl Who Leapt through Time, The Aimed School présente déjà les mêmes gimmicks narratifs et visuels qui sont si chers à Obayashi. L’attention est portée sur un protagoniste de lycéenne qui doit s’affirmer face aux épreuves et devenir une adulte. On sent toute la bienveillance de la caméra d’Obayashi sur la jeunesse japonaise d’alors, qu’il présente comme innocente et devant systématiquement accéder à un parcours initiatique afin de devenir elle-même. Derrière cette typologie de scénario, il s’amuse avec la dimension graphique que peut offrir le cinéma à travers des effets visuels faussement simplistes, composés d’auras dessinées et de collages en tous genres, qui revêtent un caractère cartoonesque des plus jouissifs. Ce type de récit associé à l’esthétique urbaine du Japon et des uniformes de lycéens, mâtiné d’une dose de surnaturel, se situe au début de la vague de pop-culture adolescente japonaise des années 1980, qui va trouver son point culminant dans l’animation et les mangas pour les décennies à venir.
À la fois, Obayashi s’inscrit dans cette vague de cinéma populaire et pourtant se place dans une singularité cinématographique qui le distingue de beaucoup d’autres de ses compatriotes. Les effets graphiques et le ton à plusieurs niveaux de lecture qu’il utilise peuvent le confiner à l’état de cinéaste de l’étrange, qui ose le kitsch et l’outrance. L’outrance est pourtant elle-même annihilée par la tendresse du regard qu’il pose sur ses personnages. Le récit présente toutefois des caractéristiques politiques extrêmement sérieuses, par-delà l’esthétique déjantée de ces effets de collages, en évoquant en sous-texte des éléments d’une certaine gravité – la méchante du film établit une petite société fascisante à travers l’équipe de lycéens patrouilleurs qu’elle fonde. Obayashi place cependant au centre de l’attention de sa caméra des éléments paradoxalement plus terre-à-terre, une penture réconfortante du Japon en portraiturant la vie quotidienne de son héroïne et son ami, à leur famille, la réussite des études, et les activités extrascolaires tels que les clubs de sport. Si le vécu d’Obayashi à travers le XXème siècle et ses horreurs alimentent les sous-textes de ses films, il met sur le devant de la scène la bonté qui émane de ses protagonistes, pour ne pas rester figé dans le passé et mener sa société vers un avenir meilleur et libéré d’un ordre malsain. De même, le fait que les pouvoirs psy de Yuka se révèlent à elle pour sauver un enfant témoigne de la nature profondément humaine avec laquelle elle est écrite. Tout cela déjà dégage quelque chose de charmant, et les épreuves que subissent Yuka ne paraissent jamais insurmontables, juste une façon de la faire grandir.
Bien des éléments offrent une facette amusante à The Aimed School. On pense au rival scolaire de Yuka, qui est une caricature d’intello fourbe, avec d’énormes culs de bouteilles en guise de lunettes et une façon de s’exprimer trop méticuleuse – il est interprété par Tezuka Macoto, le fils du mangaka Tezuka Osamu, responsable du patrimoine de son père et qui lui-même deviendra un cinéaste pop comme Obayashi peut l’être. La dégaine du véritable vilain se montre également complètement baroque. Il existe un second degré constant dans le film, qui se révèle compatible avec la sincérité du cinéaste vis-à-vis du portrait de la jeunesse qu’il dresse, et dont il ne se moque bien évidemment pas. La double teneur de son ton – cet authentique regard sur la jeunesse en éveil qu’il veut porter et l’espièglerie de ses trucages et de l’intervention de personnages surnaturels et bariolés – fusionnent pour offrir une sensation de bien-être, propre à ce style de cinéma japonais.
Obayashi est une sorte de plasticien jouant avec le grain de l’image, très marqué années 1980, pour donner vie à un microcosme de personnages hauts en couleur, qui génère chez le spectateur une grande empathie. Toutes ces qualités seront présentes dans The Girl Who Leapt through Time en 1983, de manière même accentuée. Obayashi Nobukiho est sans doute l’un des réalisateurs les plus emblématiques de la décennie japonaise des années 1980, période dans laquelle il s’est illustré avec des récits jeunesse, marqués par le soin apporté dans l’écriture des personnages féminins et avec une bonne dose de fantaisie tant narrative que graphique. The Aimed School fait partie de cette lignée de films japonais généreux sur le plan humain, qui connaît comme équivalent dans les années 1990 Sumo Do, Sumo Don’t de Suo Masayuki et dans les années 2000 Swing Girls de Yaguchi Shinobu, bien que ces derniers soient des comédies lycéennes sans incursion du surnaturel. Mais les bonnes vibrations qui en émanent restent les mêmes.
BONUS
Présentation du film par Stéphane du Mesnildot (17 min). Dans ce module, le spécialiste du cinéma japonais retrace les prémices de la carrière d’Obayashi, en évoquant son enfance qui a connu la bombe, son adhésion à un groupe de cinéastes underground à la fac et un premier film très remarqué dans les universités japonaises des années 1960, Emotion. Stéphane du Mesnildot poursuit en expliquant qu’il fut par la suite un grand réalisateur de publicités, travail dans lequel il aura été amené à diriger de nombreuses célébrités internationales, puis qu’il deviendra pleinement réalisateur de cinéma le projet House comme rampe de lancement, et enfin ce qu’il parviendra à insuffler dans le cinéma japonais au tournant des années 1980. Dans cette décennie, il se spécialisera dans les films d’idol, dans lesquels il donnera à ces très jeunes femmes de beaux rôles d’actrices, une considération à la laquelle elles n’ont guère le droit dans le reste de leur carrière, étant plutôt vues comme des produits commerciaux. C’est le cas pour The Aimed School avec Yakushimaru Hiroko et The Girl Who Leapt through Time avec Harada Tomoyo.
Discussion entre Yoan Orszulik et Aurélien Gouriou-Vales du Cinéclub de Mr. Bobine (29 min). Dans cette riche conversation, les intervenants retracent les débuts d’Obayashi Nobuhiko et mettent l’accent sur le tournant stylistique que fut The Aimed School, en étant une production Kadokawa et les éléments incorporés (idol, adaptation de romans) que cela engendre. Ils affirment que l’extrême stylisation du film, bien que trouvant ses origines dans les premiers travaux du réalisateur, notamment Emotion et House, se trouvent être ici la matrice de toute la filmographie du réalisateur. Ils insistent sur le sous-texte de la crainte du retour au fascisme.
Commentaire de scènes d’Aaron Gerow (27 min). Bonus issu de l’édition vidéo britannique de Third Windows Films, Aaron Gerow, professeur de cinéma à Yale, analyse quelques séquences du film en évoquant son savoir du cinéaste, qu’il connaissait personnellement. La séquence la plus ludique et la plus intéressante demeure celle du combat de kendo, où il nomme les innombrables caméos qui peuplent la scène, faisant ainsi état du fonctionnement familial des films d‘Obayashi.
Entretien avec Obayashi Chigumi (28 min). Également un bonus issu de l’édition britannique des films, Aaron Gerow mène ici un entretien avec la fille du réalisateur, elle-même réalisatrice et qui témoigne de nombreuses anecdotes sur les films de son père. L’accent est mis sur la dimension familiale de ses tournages, une fois de plus.
Maxime Bauer.
The Aimed School d’Obayashi Nobuhiko. Japon. 1981. Disponible dans le coffret Obayashi Nobuhiko paru chez Spectrum Films en septembre 2023.