Lauréate du prix Flyasiana lors de la précédente édition du Festival du Film Coréen à Paris (FFCP), la réalisatrice Jo Hayoung était invitée cette année à présenter l’ensemble de son travail, à ce point de sa carrière.
La séance a bien sûr débuté avec Remember Our Sister, son court-métrage primé l’an dernier, une tragédie musicale de 29 min réalisée en 2021. L’action se situe dans les années 80, dans le village attenant à une base américaine, et plus précisément dans le cabaret où travaillent des jeunes femmes plus ou moins de leur plein gré, et où le pire est toujours à l’horizon. Inspiré de faits divers réels advenus dans ces territoires sous contrôle militaire américain, et tourné sur les lieux mêmes de ces drames, le court-métrage se singularise par le contrepoint terrifiant du regard innocent d’une petite fille, sœur de l’une des prostituées, qui s’aveugle sur tous les signes qu’elle perçoit confusément. Là où le spectateur adulte est confronté à un spectacle d’esclavage et de violences sexuelles, l’enfant se concentre sur la beauté du décor et croit voir dans les étreintes subies par les femmes la preuve d’une tendresse infinie. De façon maline, les chansons mêlent les points de vue, l’enthousiasme de la petite fille et le rêve de liberté des femmes se mélange dans un duo que l’incompréhension rend d’autant plus brutal et empreint d’ironie tragique. Il faut saluer la force de l’interprétation des actrices, en particulier des deux sœurs qui savent trouver le ton juste pour être assurées de provoquer les larmes lorsque le film s’achève et que l’horrible désillusion de ce qu’est vraiment le monde adulte éclate au grand jour, seulement contrecarré par l’espoir d’un triomphe de la sororité.
Pour une première œuvre de fiction d’une très jeune réalisatrice, le film impressionne toujours après plusieurs visionnages. Le film connaît quelques scories techniques mais le récit et ses partis pris de mise en scène les compensent aisément. On se prend à rêver d’un long-métrage de cette tenue mêlant ainsi musique et histoire de la Corée, à la manière de ce que peut proposer un Kang Hyeong-cheol.
La séance s’est poursuivie par la projection du premier film de la réalisatrice, appelé Sister’s Room, un documentaire de 13 min datant de 2018. Le film surprend par sa forme ; si la réalisatrice n’affirmait pas qu’il s’agit d’un documentaire, on pourrait croire qu’il s’agit d’une œuvre de fiction, avec un dispositif reposant sur des cadres très posés, oubliant la présence de la caméra. On y accompagne Jo Hayoung elle-même qui aide sa grande sœur, modèle pour des photographes, à s’installer dans son nouvel appartement. La situation devient prétexte à illustrer ses inquiétudes quant à la façon dont les femmes sont traitées dans la société coréenne, en affrontant même frontalement la question de la façon dont une jeune femme peut continuer à vivre après une agression. Le film ne propose aucune réponse mais invite à s’interroger sur la notion de résilience, quand les causes du trauma sont toujours présentes et menacent d’éclater à nouveau à tout moment.
Le troisième film proposé n’était pas de Jo Hayoung elle-même, mais de son partenaire Kim Wonwoo, auquel elle a servi d’assistante réalisatrice. Kids Land, drame d’apprentissage de 23 min réalisé en 2023, propose de suivre deux cousins dont les familles se déchirent, vivant dans un quartier appelé à être démoli dans un plan urbanistique comme il en existe beaucoup en Corée. Les deux enfants décident de désobéir à leurs parents et de fuguer pour essayer de les contraindre à une solidarité dans l’inquiétude. Le film est très délicat et doux amer, présentant avec justesse l’incompréhension des deux enfants devant le comportement pour eux inexplicable des adultes. Le film est très sobre, mais présente un regard tendre sur ce jeune duo, dont l’interprétation porte vraiment le film. On retrouve Yoon Bo-yoon qui incarne ici la « grande sœur » après avoir été la petite sœur de Remember Our Sister, qui promet d’être une actrice à suivre.
Dans la discussion qui a suivi les projections, la réalisatrice a parlé de ses intentions, de son goût pour la forme musicale, de son travail auprès de femmes victimes de violences et de sa reprise d’études pour s’ouvrir à la mise en scène de théâtre. On peut sincèrement espérer avoir de ses nouvelles prochainement. Ses premières œuvres font preuve d’une maturité surprenante, en espérant que ses rêves de projets scéniques et cinématographiques musicaux prennent rapidement corps. Il sera aussi intéressant de suivre la carrière de Chae Yeon-hee et Yoon Bo-yoon auxquelles on peut prédire un bel avenir, ainsi que de Kim Wonwoo, dont le talent pour la direction de jeunes acteurs est déjà manifeste.
Florent Dichy.