FFCP 2023 – Swallow de Leesong Hee-il

Posté le 9 novembre 2023 par

Presque une décennie après Night Flight, Leesong Hee-il revient au Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) avec Swallow, un ambitieux mélodrame familial examinant le poids du passé et la nécessité de s’y confronter.

Ho-yeon apprend que sa mère, Eun-sook, écrivaine en pleine séparation, a disparu. Pour percer ce mystère, il se plonge dans son dernier livre, « Jebi », dans lequel elle relate son passé d’étudiante militante pro-démocratie dans les années 80, sous le régime militaire de Chun Doo-hwan. Cette femme, finalement, Ho-yeon ne la connaît pas.

 

Cinéaste à part dans le paysage du cinéma coréen contemporain, Leesong Hee-il s’est forgé une place de choix dans la production indépendante tout en évoluant à la marge de sa génération de la nouvelle vague coréenne. De No Regret à Night Flight, en passant par le frappant moyen-métrage Going South, le réalisateur creuse un sillon assez reconnaissable, titillant les tabous de la société de son pays (l’homosexualité en premier lieu) et composant avec une économie modeste, voire fauchée, largement compensée par la richesse de son propos ou la sensibilité de son regard.

D’emblée, Swallow tranche dans la filmographie de son auteur. Tout d’abord, par l’ampleur de son sujet et la complexité de sa construction (le film se déroule entre deux époques et reconstitue les années de lutte des mouvements pro-démocratiques au lendemain du massacre de Gwangju). Ensuite, avec ses thématiques, qui rejoignent en pointillés quelques-unes des obsessions de Leesong Hee-il (le danger de la conformité, la perte des idéaux, les rencontres décisives) tout en s’éloignant des motifs récurrents auxquels son œuvre nous avait habitués. Le projet attisait alors autant de curiosité que d’attentes. Le résultat est malheureusement plutôt décevant : Swallow est un étrange objet, très inégal, dont les intentions ne parviennent jamais totalement à se matérialiser dans le récit ou à transcender l’immense charge émotionnelle qu’il promettait.

Le film brasse énormément de sujet (la filiation, l’évolution des idéaux, l’échec des combats de jeunesse face au système, le deuil, la culpabilité, la mémoire, la résistance par la littérature), sans doute beaucoup trop. Chacune de ces thématiques auraient pu faire l’objet d’un film entier et cela se ressent au visionnage de Swallow qui peine déjà à faire la somme de toutes ces réflexions pourtant profondes, ambitieuses et bouleversantes. Le scénario, très écrit et bien trop explicatif, croûle sous le poids de ses idées tandis que la réalisation tâtonne, incertaine du ton à adopter et du rythme à emprunter. La mise en scène oscille alors entre un réalisme un peu inerte, qui fait ressentir les moyens limités de la production, et un lyrisme facile et emprunté qui joue contre le film. Leesong Hee-il choisit de construire le récit comme un puzzle dont les morceaux se recolleraient un par un, au fur et à mesure que l’on avance dans le film, et Ho-yeon dans le livre de sa mère. La proposition, très littéraire, est intéressante mais son exécution tombe souvent à plat, particulièrement dans la section se déroulant dans le passé. En effet, si le parti pris est bien tenu, il prive le spectateur d’un contexte essentiel pour appréhender les enjeux et, surtout, l’intensité des relations au centre de la tragédie qui en découlent. On reste ainsi un peu étranger à la supposée signifiance de ce personnage de l’Hirondelle, leader disparu et jamais oublié vers lequel converge tous les événements de l’histoire et dont la présence fantomatique infuse tout le déroulement du film. Leesong Hee-il, habituellement si apte à faire jaillir la sensualité et l’immédiateté des sentiments, ne fait ici pas grand chose de sa grande romance et installe un sentiment de déconnexion entre ce que le film nous dit et ce que l’on voit, ou ressent (ou ne ressent pas en l’occurrence).

Swallow est plus réussi dans sa partie au présent, notamment grâce à l’intriguant personnage du fils que l’on rencontre, rigide et plein de colère rentrée, se fissurant de plus en plus au fil des révélations d’un passé qui remet en cause toute son existence. C’est par lui que le film parvient à s’emballer et à laisser percer des émotions, longues à venir. Cependant, là où il aurait pu/dû aller plus loin dans l’exploration entreprise de l’identité et du traumatisme générationnel, le film effectue un virage bien plus convenu vers un thriller au symbolisme appuyé et aux recettes éculées. Swallow repose pourtant sur un postulat magnifique : l’idée de retracer les blessures et les secrets d’un passé qui attendait, couché sur le papier, d’être reçu et compris pour mieux réparer, du moins affronter, le présent. A dire vrai, Swallow est rempli de ces pistes passionnantes et de ces idées remarquables, finalement, à peine effleurées, comme si le cinéaste n’osait ni faire confiance à la force de son histoire et de ses personnages, ni à la capacité du spectateur à saisir les choses sans qu’on lui surligne par le dialogue ou par des effets.

Il reste, au crédit du film, une sincérité qu’on sent réelle, et probablement très personnelle, ainsi que la tentative assez audacieuse de son auteur de s’aventurer hors de ses routes habituelles pour mêler certains de ses sujets de prédilection à un autre type d’histoire et de narration. Les percées de Swallow viennent alors de cette touchante volonté de tout dire et de tout mettre, quitte à enchaîner les maladresses. Etrangement, il en résulte une véritable opportunité manquée mais aussi ses quelques grandes qualités.

Claire Lalaut

Swallow de Leesong Hee-il. 2023. Corée du Sud. Projeté au FFCP 2023.

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