Disponible sur Netflix, les 16 épisodes de la série The Glory de Ahn Gil-ho ont connu un succès incontestable sur la plateforme. Sur fond de trame traitant de harcèlement scolaire et de la préparation méticuleuse de son plan de riposte par l’héroïne principale (Song Hye-kyo), la série tient-elle ses promesses en matière de tension et faux-semblants ?
Une jeune femme harcelée au lycée, au point d’arrêter l’école, a longtemps réfléchi au meilleur moyen de se venger. Elle devient ainsi enseignante dans une école primaire et accueille dans sa classe l’enfant de celui qui l’a le plus persécutée.
Diffusée sur la plateforme en deux « saisons » disponibles successivement le 30 décembre 2022 puis le 30 mars dernier, la série a aujourd’hui fusionné en 16 épisodes indistincts. The Glory plonge donc le spectateur dans une dualité inhérente à la Corée : un pays oscillant constamment entre son attachement aux traditions séculaires et une modernité elle aussi sujette à ses propres démons.
Créée par Kim Eun-sook (Secret Garden) pour la partie scénario et musique (avec Jeong Se-rin), le show narre l’histoire d’une ancienne victime de violence scolaire cherchant à se venger de ses bourreaux en acceptant un poste d’institutrice à l’école primaire de l’enfant de son principale bourreau. Portée par un casting pertinent (malgré un cabotinage agaçant et une direction d’acteur trop exubérante) dont notamment l’ex-mannequin (parfaite dans le rôle de Moon Dong-eun) Song Hye-kyo (The Crossing), la sublime et diabolique Lim Ji-yeon (Obsessed) ou Jung Sung-il (The Chase), la série est très vite devenu must-see sur la plateforme. En effet, en quelques jours, elle atteint le top 5 des séries les plus vues dans le monde (dont top 1 dans des pays d’Asie).
L’on entame donc les épisodes par un portrait nuancé et assez déconcertant de Dong-eun (Jung Ji-so : Parasite pour la partie adolescence). A la limite de l’incompréhension, voire de l’ennui (le show est extrêmement bavard), nous vous conseillons humblement de garder le cap et de tenir la barre. Évidemment, on comprend très vite les tenants et aboutissants des épisodes qui racontent en 4 heures ce que l’on a compris en 4 minutes. Souvent à la limite du voyeurisme quant à la souffrance de son héroïne, quelques rebondissements inattendus font alors osciller le propos de l’horreur au drame ou de la violence frontale la plus crue au revenge movie machiavélique (ou plutôt malin), souvent pour notre plus grand plaisir tant l’empathie pour cette écolière harcelée est grandissante.
Parfois caricaturale, l’écriture des personnages est donc loin d’être parfaite mais particulièrement malicieuse. S’installe alors un climat de whodunit bienvenu au fil des épisodes. Si toutefois vous êtes allergiques aux thématiques de vengeance, à la violence crue ou à l’injustice, peut-être trouverez-vous The Glory éprouvant à regarder…
Le traitement de la vengeance au cinéma est particulièrement mis en avant en Corée. Qu’il s’agisse de la Trilogie de la Vengeance de Park Chan-wook, The Chaser de Na Hong-jin ou du chef-d’œuvre absolu J’ai rencontré le diable de Kim Jee-woon, les bijoux pelliculés sont légion au Pays du matin calme. Le format épisodique se dévoile de plus en plus, eu égard évidemment au succès incontestable de ses différentes productions. Ici, la scénariste (malgré quelques grosses ficelles) réussit à étirer son propos sur 16 épisodes sans trop de dommages.
De l’installation des masques de cire aux jeux de dupes, des flash-backs expliquant le calvaire de l’écolière aux évocations de l’injustice flagrante (réussite sociale en fonction de son milieu d’origine par exemple) : les marches du succès semblent particulièrement infranchissables pour l’héroïne. C’est en tout cas ce que l’on déduit en début de show. Sa détermination et son intelligence feront ensuite le reste. Bien que l’on peine donc parfois à entendre qu’elle ait attendu 18 longues années pour mettre en action son bras vengeur: on accède in fine à la suspension consentie de l’incrédulité pour savourer, sans hausser les yeux au ciel, un récit émouvant, passionnant et cathartique.
L’intérêt premier est alors d’entendre ou de découvrir comment cette ordure de Yeon-jin, l’instigatrice du harcèlement, va prendre cher au firmament de la série. On utilisera entre autres le rapport temporel actions passées – conséquences comme colonne vertébrale du récit pour dynamiser sa fluidité. De la partie d’échec savante, millimétrée et jouée d’avance par la victime contre ces monstres d’écoliers (manquant clairement de nuances dans leurs caractérisation à l’écran) à l’utilisation du thème de l’obsession (et surtout des addictions : popularité, violence, drogue, sexe, luxe ou mensonge) : la série se mue peu à peu en jeu de go. Une lutte acharnée pour la conquête de territoire. Les joueurs ne cherchent ici plus à comprendre le prochain coup de leur adversaire mais à (re)conquérir leur territoire. Brillant.
Une écriture à ce sujet passionnante quant à sa complexité donnant parfois envie de regarder une nouvelle fois ces 16 épisodes et réaliser tout ce que l’on a loupé lors du premier visionnage. C’est indéniablement le signe d’une série de qualité.
Attention, tout est plutôt intéressant et captivant dans The Glory (mention spéciale également à sa musique particulièrement élégante et illustrant parfaitement les moments de tension) mais quelques griefs ne seraient être absents de ces lignes. L’on songe par exemple à l’absence totale de direction artistique. Pourquoi un choix de caméras aussi passe-partout? Pourquoi ne pas plonger le spectateur dans une ambiance tantôt feutrée et sexy, tantôt dans un labyrinthe symbolisant les circonvolutions de cette gamine scarifiée ? Un manque de soin inexplicable tant une image soignée et à la personnalité décuplée aurait fait progresser le show en qualité et réputation. Tout est ici désespérément fade : beige, blanc, gris ou éclairé par la lumière blafarde des néons… Une pure énigme qui ressemble soit à un oubli incompréhensible (et difficilement excusable si avéré) soit à un manque de moyens de production.
Nous évoquions plus haut la direction d’acteur ô combien perfectible. Il en est malheureusement de même du rythme global des épisodes. Dieu que c’est bavard et répétitif! Verbalisant chaque action ou enjeu, The Glory manque cruellement de subtilité dans l’exposition de sa trame et abîme par la même (involontairement) la finesse de son intrigue. On se demande souvent, très souvent, pourquoi les sous-fifres de la grande prêtresse ès-conasse en cheffe ne l’envoient tout simplement pas au diable ? La beauté ? L’argent ? La morbide attirance pour la popularité cruelle ? Probablement un peu de tout cela. C’est ici dommageable mais surmontable.
Les fantômes du passé sont normalement toujours présents pour les adultes que nous sommes devenus. Nous avons tous été, à un moment donné de notre vie, la risée de quelqu’un. Celui que l’on a montré du doigt à la cantine ou dont le volume sonore des discussions s’affaiblissait à son passage… Mais parfois, parler à ses parents, son frère, certains amis qui, même s’ils ne sont pas assez « cools » pour être les stars du collège (qui finissent souvent plutôt mal) permet de surmonter ces terreurs nocturnes. Les larmes, les envies de disparaitre ou de ne voir que le pire dans l’avenir seront tout autant (et malheureusement) le lot de nombre de générations futures. Mais, eux aussi, surmonteront l’insurmontable. Que ces êtres bienveillants, de la surveillante du collège à votre mère, de votre ami(e) de seconde à qui vous vous confiiez les yeux humides à votre grande sœur en soient les premiers remerciés. Comme dit le sage : ce qui ne nous tue pas…
Jonathan Deladerrière
The Glory de Ahn Gil-ho. Corée. 2022. Disponible sur Netflix