DC MINI, LA CHRONIQUE DE STEPHEN SARRAZIN – CHAPITRE 32 : Stop me if you think that you’ve heard that one before

Posté le 11 avril 2023 par

Stephen Sarrazin présente dans DC Mini, nom emprunté à Kon Satoshi, une chronique pour aborder « ce dont le Japon rêve encore, et peut-être plus encore ce dont il ne rêve plus ». Il nous livre ici ses réflexions autour de Suzume de Shinkai Makoto et The Makanai de Kore-eda Hirokazu… et les producteurs qui ne sauraient choisir.

« If you want a happy ending, that depends, of course, on where you stop your story. »

Orson Welles

 « A boy’s story is the best that’s ever been told. »

Charles Dickens

L’œuvre du cinéaste Shinkai Makoto aura mis à mal cette maxime de Dickens ; elle aura également interrogé ce que Welles pouvait entendre par happy ending ; Shinkai ne frémit que par la mélancolie des amours inaccomplies. Tandis que la part plus récente de celle Kore-eda Hirokazu se sera peu à peu éloignée de récits privilégiant les personnages masculins, se tournant vers des adaptations de manga offrant un foisonnement de personnages féminins, dont Umamachi Diary de Yashida Akimi et Maiko-san chi no makanai-san de Koyama Aiko.

Le cinéma japonais, au cours de ce premier trimestre 2023, n’aura livré rien de semblable à l’accueil qui fut fait à Drive My Car de Hamaguchi, dont d’autres attendent son premier film français. Cependant, une nouvelle société de production confirmait le rôle qu’elle allait jouer dorénavant. Story Inc., une structure pourtant discrète, compte une dizaine de co-productions depuis 2018, lorsqu’elle apparait au générique des Enfants du temps de Shinkai. Trois ans plus tard, elle se retrouvait au festival de Berlin, où Suzume fut en compétition, et annonçait sa collaboration avec Netflix, co-producteur de la première série de Kore-eda, The Makanai: Cooking for the Maiko House, et de son prochain long-métrage japonais, Monster.

Suzume, dont le scénario écrit par Shinkai doit à nouveau à l’univers du Studio Ghibli, du Royaume des chats à Chihiro ou Ponyo, dessine un trajet permettant à une jeune orpheline recueillie par sa tante au lendemain du désastre de Tohoku en 2011, de résoudre un souvenir, d’obtenir une réponse venue d’ailleurs, à l’image de cette cabine téléphonique à Otsuchi (préfecture d’Iwate. 1) et de sauver le Japon avec l’aide d’un séduisant personnage masculin. Son rôle consiste à ouvrir et fermer les portes menant à une dimension dévorante, dont l’anime est friand. Shinkai a vite fait de  lui jeter un sort et de le transformer en chaise d’enfant, à l’image de La Belle et la Bête de Disney et de son mobilier ambulant. Suzume y arrive pourtant, elle tire le Japon d’affaire avec le soutien permanent de femmes d’une région à l’autre, chacune d’elle incarnant une figure d’indépendance. Shinkai assemble une mosaïque féministe contemporaine.

Le projet de Kore-eda, curieusement, semble proposer de freiner de telles accélérations sociales. Le manga duquel est adapté sa série a connu une part de controverse ; il fait de ses jeunes héroïnes, Sumire et Kiyo, des modèles narratifs qui ont comme objectif, à travers un apprentissage raffiné de culture et tradition, de servir des hommes. Le cinéaste créa cependant, avec l’accord de ses producteurs, un personnage qui n’existe pas dans le manga, celui de Ryoko, la fille de la mère de la maison abritant deux geiko et quelques maiko. Ryoko exprime critiques et réserves sur ces pratiques, tout en espérant le mariage de sa mère avec un client fidèle, un architecte glanant les caractéristiques de Kyoto afin de mieux se construire. Kore-eda tourna la série à la manière des grands maîtres d’autrefois. Il put filmer en studio, et en extérieurs à Kyoto, pendant la pandémie, lorsque la ville était vidée de ses touristes. Plusieurs jeunes Japonais, né.e.s après l’an 2000, n’auront jamais connu la ville ainsi. Les deux amies venues du nord, d’Aomori, ne s’aventureront guère loin de Gion, tandis que Suzume se déplace à toute vitesse de Miyazaki sur l’île de Kyushu à Tokyo. Kore-eda n’omet pas de souligner de véritables transformations, tel un livreur étranger, occidental blond aux yeux bleus. Suzume ne semble en croiser aucun et se retrouve projetée, lors d’une ballade en voiture de sport, dans les années de bulle d’un Japon des années 80 ; le jeune homme au volant, à la teinture blonde, est amateur des idoles et des chansons de cette époque.

Ces deux exemples de productions Story Inc. affichent des velléités auteurisantes. Mais cette société ne s’inspire pas du modèle Suncent Cinema Works de Sento Takenori, autrefois derrière les films de Kawase Naomi et  Shinji Aoyama. Fondée par deux producteurs issus des studios Toho, Furusawa Yoshihiro et Kawamura Genki (2) avec lesquels ils poursuivent les collaborations, cette société s’apprête à raconter plus d’un Japon.

Stephen Sarrazin.

1-https://www3.nhk.or.jp/nhkworld/en/tv/documentary/20210307/4001232/

2-Kawamura Genki est également romancier, scénariste, et réalisateur ; il fut associé à la production et scénarisation de films mettant en scène le célèbre DORAEMON. Le parcours de Furusawa Yoshihiro compte de nombreuses production anime, y compris pour Ghost in the Shell: Arise, My Hero Academia The Movie, ainsi que divers documentaires sur la scène post-Onyanko Club, comprenant les groupes AKB48 et NOGIZAKA46.

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