NETFLIX – Makanai : Dans la cuisine des maiko de Kore-eda Hirokazu

Posté le 9 février 2023 par

Les amateurs du cinéma de Kore-eda Hirokazu avaient fini l’année en larmes avec son dernier film, Les Bonnes étoiles. Un drame déchirant et émouvant, où le réalisateur redéfinissait à nouveau le concept de la famille, son sujet de prédilection. Et de famille, il en est à nouveau question, entre autres, dans sa dernière création, disponible sur Netflix : Makanai : Dans la cuisine des maiko. Et nous n’étions pas prêts pour ce nouveau chef d’œuvre.

Kore-eda adapte ici le manga éponyme, créé par Koyama Aiko, œuvre qui a déjà eu les honneurs d’une adaptation sous forme d’anime que l’on peut découvrir sur la plate-forme Crunchyroll. Dans cette série, nous faisons la connaissance de Kiyo et Sumire, deux adolescentes ayant grandi dans la campagne du Nord du Japon. Toutes deux partagent le même rêve : devenir maiko, autrement dit geisha, dans le quartier traditionnel de Gion, au sein d’une prestigieuse maison qui forme, justement, de jeunes femmes. Mais si elles sont acceptées dans un premier temps avec ce même objectif et suivent la même formation, Sumire va vite se démarquer par sa grâce et son aisance naturelles, et Kiyo, plus gauche et hésitante, va voir son rêve rapidement s’écrouler. Mais le destin va lui donner un petit coup de main, et au détour d’un incident dans la cuisine de la maison, Kiyo va se révéler être un véritable cordon bleu et devenir makanai, la cuisinière officielle de la maison.

Autant le dire d’entrée de jeu : on aura beau chercher sur l’ensemble des plates-formes de VOD, il n’y avait encore jamais eu de série aussi douce, tendre, réconfortante et débordante de sentiments aussi bienveillants que Makanai.

On pourrait craindre, par son sujet et le thème principal qu’il aborde, qu’une certaine forme d’élitisme ou de distance puisse s’installer (les geisha peuvent être, et nous y reviendrons, assimilées à des filles de joie), mais il n’en est rien du début à la fin. Certes, la maiko est un statut à part dans la société japonaise, mais ici, la description qui en est faite est d’une délicatesse et d’une retenue admirables. Oui, les demoiselles font du divertissement pour adultes, mais c’est avant tout un art séculaire, aux codes et usages minutieusement respectés, et encadrés par des femmes qui veillent au respect de leurs protégées. Le sujet est abordé sans détour lors de la visite du père de Sumire qui s’inquiète de voir sa fille exposée aux vices des hommes, mais il est rapidement remis en place par les maiko en chef, qui lui expliquent (ainsi qu’au spectateur) qu’il n’en sera rien et que son intégrité et son respect sont une priorité pour l’établissement. La mise au point était nécessaire, et une fois cet aparté clos, la série, pendant 9 épisodes, va transporter le spectateur dans une bulle de bonheur et de tendresse qui va réchauffer les cœurs.

L’essentiel de l’action se passe dans la ville de Kyoto, et plus précisément dans le quartier de Gion, le quartier traditionnel d’une ville qui ne l’est pas moins. Un quartier que les cinéphiles amateurs de cinéma nippon connaissent bien, le cinéaste Mizoguchi Kenji y ayant posé parfois sa caméra, avec par exemple Les Sœurs de Gion, mais dans un style beaucoup plus cru et moins optimiste. C’est dans une maison de ce quartier que les deux amies vont poser leur valises et commencer leur formation. Un lieu coupé du monde (les smartphones sont prohibés) et que l’on jurerait aussi coupé du temps (l’action pourrait se situer à une autre époque que l’on y verrait que du feu). Kore-eda va suivre, avec un regard et un point de vue qui confine parfois au semi-documentaire, le parcours et la formation de ces jeunes filles, entre cours de danse, de maquillage et également, en filigrane, le renoncement à une quelconque vie extérieure. Car devenir maiko, et par la suite geiko, c’est se donner corps et âme à un art, et accepter de sacrifier vie sociale, amoureuse et professionnelle. Certaines ont fait le choix de renoncer à devenir maiko pour retrouver la vie active, mais à l’instar du personnage de Yoshino, fraîchement divorcée et de retour à la maison, elles finissent par revenir là où elles se sentent le mieux, dans cette famille de substitution.

Après visionnage de la série, on comprend parfaitement ce qui a pu séduire le metteur en scène dans l’adaptation du manga. Kore-eda a construit une filmographie où se télescopent différentes visions de la famille : celle que l’on a, celle qu’on se crée, ou celle que l’on n’a jamais eu, entre autres. Ici, il fait cohabiter sous le même toit des femmes d’âge divers, aux origines variées, mais évoluant dans un même univers, où certes une hiérarchie est présente, mais où tous les membres se respectent et partagent la même passion. Il se recrée sous nos yeux un cocon familial débordant d’affection, d’écoute et de gratitude, sans la moindre trace de conflit ni d’adversité. Si Sumire s’avère être la plus douée du groupe, à aucun moment cela ne sera source de jalousie et de rancœur. Ses « sœurs » la pousseront vers le haut pour devenir encore meilleure, sous l’œil bienveillant de Kiyo depuis sa cuisine.

Et c’est ce côté feel good permanent et doucereux qui fait entre autre la grande force de la série. C’est assez étrange à constater, mais il ne se passe absolument rien d’extraordinaire au cours des 9 épisodes, et les seuls instants un peu tendus sont à mettre au crédit de Kiyo qui ne trouve plus d’aubergines au marché ou qui se demande comment gagner la tombola pour gagner un auto cuiseur. Kore-eda va sublimer le rien, illuminer le banal, et prendre le temps de filmer ce petit théâtre du quotidien, faire de chaque scène une tranche de vie remplie de douceur. Le rythme de la série n’est pas lent ni même contemplatif à proprement parler, il s’accorde tout simplement à suivre le tempo de la vie des maiko, sans qu’à aucun moment on ne s’ennuie. C’est simple, la série pourrait durer 15 épisodes d’1h, on n’y trouverait rien à y redire. On sourit beaucoup, on rit très souvent, et parfois la série adopte un ton plus doux-amer. En effet, elle sait aussi se montrer moins festive lorsqu’est abordée la vie de Momoko, fille de geiko dont la relation mère-fille compliquée synthétise, sans jamais verser dans le pathos, la difficulté du renoncement à une vie ou une vocation. Mais dans la série de Kore-eda, lorsque l’on a du vague à l’âme, il n’y a qu’une seule solution pour y remédier : la cuisine. Le lieu, dans un premier temps et après, ce que l’on y prépare.

La cuisine de la maison est un endroit où chacun vient s’épancher, parler, se confier, auprès de la joviale et toujours de bonne humeur Kiyo. De par sa fonction de makanai, elle pose un regard extérieur et plus juste sur ce qui se passe sous ses yeux. Elle ne flanche jamais, sourit toujours et ne vit que pour le bonheur des autres. Mais surtout, et là on touche au sublime, elle est affectée à la préparation des plats pour les maiko. Et comment dire, c’est un plaisir des yeux permanent.

La série élève le concept de comfort food au rang d’art. Chaque problème, petit coup de blues ou réveil difficile est soigné grâce à la nourriture. Si vous aimez la gastronomie japonaise, vous avez frappé à la bonne porte. Qu’elle cuisine des aubergines, des petits sandwichs aux œufs ou un tonkatsu karaage, Kiyo est filmée comme une artiste aux fourneaux, s’appliquant sur chaque plat avec passion et envie de faire plaisir à ses sœurs, sans jamais se plaindre. Même Momoko, d’humeur assez maussade et parfois froide avec elle, finit par reconnaitre que le problème avec la cuisine de Kiyo, c’est qu’il n’y en a jamais assez…

On pourrait passer des heures à lister tout ce qui fait le sel, pour ainsi dire, de cette série, tant elle arrive à toucher au cœur avec une galerie de personnages tous plus attachants les uns que les autres, évoluant dans une petite bulle de bonheur et de bienveillance. Kore-eda a encore réussi un tour de force émotionnel (vraiment, on en ressort avec un sourire béat), somptueusement mis en scène (la photographie est à tomber) et brillamment interprété.

Romain Leclercq.

Makanai : Dans la cuisine des maiko de Kore-eda Hirokazu. Japon. 2023. Disponible sur Netflix

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