VIDEO – Frisson ? de Mike De Leon

Posté le 8 avril 2023 par

Après un tour remarqué en festival, la restauration des films de Mike De Leon nous arrive enfin entre les mains avec le très beau coffret de Carlotta Films contenant 8 des 10 long-métrages du réalisateur, ainsi que moult bonus, dont plusieurs court-métrages et making-of. Nous poursuivons avec Frisson ?, comédie d’espionnage sortie en 1980. Film par Elie Gardel ; Bonus par Thibaut Das Neves.

Frisson ? raconte l’histoire d’un yakuza malchanceux et pas très finaud qui tente, en vain, de transporter des marchandises illégales entre le Japon et les Philippines. Lassé de se faire épingler à la douane et de devoir se couper des doigts devant son supérieur en guise de punition, il choisit finalement de tenter une nouvelle approche. Il glisse son paquet dans la poche de la veste de son voisin de siège, pour que celui-ci passe la douane avec. La combine fonctionne mais comment récupérer cette marchandise ? Pendant ce temps, son voisin de siège, un jeune homme prénommé Johnny, tente de vivre une belle histoire d’amour avec Melanie, une hôtesse de l’air rencontrée durant le vol.

Frisson ? pourrait être découpé en deux parties. La première fonctionne comme les comédies parodiques d’espionnage, typiques de l’époque, qu’elles soient asiatiques ou même occidentales. On peut penser en particulier au Grand blond avec une chaussure noire, via cette histoire d’homme sélectionné par hasard dans un aéroport qui devient la cible de toutes les attentions, alors qu’il ne se doute de rien dans un premier temps. Le yakuza et son sidekick, un supposé garde du corps aussi talentueux que l’homme qu’il est censé protéger, forment également un duo comique assez représentatif de la période. S’il ne s’agit pas de la partie la plus originale du film, elle reste toutefois très plaisante. La comédie fonctionne bien, en particulier dans l’absurdité de certains dialogues. De Leon ponctue les discussions de petites saillies détonantes et très efficaces, qui ajoutent une personnalité au film. Tout ne fait pas forcément mouche, mais l’énergie pousse à se laisser porter par le film.

Lorsqu’il finit par opter pour un approfondissement de son histoire de trafic asiatique d’opium dans des cassettes audio, le film décolle véritablement et prend une toute nouvelle ampleur. De Leon se laisse aller à des expérimentations cinématographiques qui sont tout aussi intéressantes qu’elles sont bienvenues. Il donne notamment à Frisson ? une esthétique proche de la bande dessinée qui lui permet de jouer sur le texte présent à l’écran. Nous assistons, par exemple, à des sous-titres de dialogues de personnages sinophones ou japanophones qui se répandent dans le cadre ou bien qui se mélangent lors d’une scène de dispute entre une Chinoise et un Japonais, etc. Une séquence dans laquelle Johnny et ses amis prennent de l’opium est, elle, en revanche, une ode au cinéma expérimental. De Leon s’adapte au contenu de chaque scène pour trouver une façon de la mettre en valeur sur le plan esthétique, ce qui pourrait créer un effet décousu, mais qui s’imbrique parfaitement avec son scénario. Plus son récit prend une dimension exagérée avec des complots de toutes parts, plus la façon de raconter le récit évolue elle aussi. Nous finissons même avec un point d’orgue en comédie musicale, séquence d’anthologie qui porte ce joyeux chaos jusqu’au summum de l’absurde.

Ce n’est pas pour autant que le film n’est qu’une fantaisie décalée et étrange, et nous retrouvons une portée politique qui fait la force de la filmographie de De Leon. Le cinéaste montre les Philippines comme un lieu de tension entre une modernité grimpante et des instances réactionnaires, au point que l’un se fond dans l’autre, lors d’une scène très drôle et critique du rôle de l’Église. De même, on repère forcément des tensions géopolitiques, représentées par les personnages chinois et japonais, qui considèrent les Philippines comme un territoire d’exploitation et rien d’autre, ce qui crée un pont avec l’histoire de la colonisation japonaise de la région. Il est, à ce titre, très intéressant d’assister à un point de vue sur les tensions entre Chine et Japon, depuis un observateur extérieur qui pâtit directement de leur influence.

En prime de toutes ces qualités, le film est très plaisant visuellement. Le travail des couleurs et des lumières, sans oublier les costumes, est agréable et convient tout aussi bien au film que l’esthétique plus désaturée et réaliste convenait à Batch ’81 du même réalisateur. De Leon continue de prouver qu’il sait faire fonctionner un ensemble, tout en se montrant original et en jouant avec les attentes du spectateur.

 

En bonus : le making-of du film

À l’image du film, le making-of de Frisson ? se révèle lui aussi étrange, avant-gardiste, mais surtout furieusement drôle. Il faut dire que les making-of des précédents films de Mike De Leon ont en commun une certaine cohérence avec le long-métrage dont ils étaient issus. Et chacun à leur manière, même si le making-of de C’était un rêve fait office de mauvais élève par sa qualité inférieure aux deux autres, possède ce petit plus : ils tendent plutôt vers le véritable court-métrage que vers le reportage. Celui de Frisson ? le fait d’une manière d’autant plus appuyée qu’il en ressort presque une impression de court-métrage expérimental dont le sujet serait le film. Expérimental non pas simplement parce qu’il brise ostensiblement et avec nonchalance le 4e mur, mais surtout parce qu’il joue avec les formes de manière aussi provocatrice qu’intelligente. Ainsi, nous oscillons entre un sketch satyrique et une publicité à peine déguisée pour le film, entre un court-métrage sur Frisson ? et un making-of dont les règles sont mises à mal (tout comme Frissons ? s’amuse lui-même des règles du cinéma au point de frôler l’abstraction absurde dans sa séquence finale). Ce petit bonus est donc une très bonne surprise qui se révèle à la hauteur de l’excellente filmographie du cinéaste.

Frisson ? de Mike de Leon. Philippines. 1980. Disponible dans le coffret Blu-Ray Mike De Leon en 8 films – Portrait d’un cinéaste philippin le 21/03/2023 chez Carlotta Films.