Pour sa première réalisation, Lee Jung-jae revient aux sources et s’attaque au film d’espionnage avec Hunt dans une Corée sous haute tension en pleine dictature militaire. Une manifestation explosive d’un pays au bord de la rupture que le Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) a sélectionné, en attendant sa distribution par The Jokers.
En 1980, en pleine hantise de l’invasion de la Corée du Sud par la Corée du Nord, deux agents du renseignement partent à la chasse à la taupe tout en se soupçonnant mutuellement.
Récemment récompensé d’un Emmy pour son rôle dans Squid Game (2021), Lee Jung-jae s’est imposé depuis longtemps comme l’un des acteurs phares du cinéma coréen contemporain. En flic infiltré dans New World (2013), en pasteur peu orthodoxe dans Svaha: The Sixth Finger (2019) ou en tueur psychopathe dans Deliver Us From Evil (2020), toutes ces figures rémanentes semblent lui convenir et c’est en chef de la KCIA qu’il choisit de se costumer pour sa première réalisation. Le second rôle de chef de la sécurité intérieure est quant à lui occupé par Jung Woo-sung, tout aussi important au regard de ses choix de carrière et avec qui Lee collabora par le passé dans City of the Rising Sun (1999) de Kim Sung-soo.
A contrario de beaucoup de films d’espionnage manufacturés en Corée, Lee Jung-jae conçoit les années 1980 comme une période brûlante de trouble et de tension que chaque image se doit de retranscrire dans les extrêmes. Loin des exercices de style slow-burn The Spy Gone North (2018) ou L’Homme du président (2020) dans un registre similaire, Hunt privilégie sans cesse le spectaculaire et les sensations fortes, à l’instar du diptyque Steel Rain (2017-2020) de Yang Woo-seok. Les phases de dialogue, toujours accompagnées d’une musique angoissante (composée par l’immense Cho Young-wuk) pour tenir le spectateur en haleine, sont ponctuées de scènes d’action pures qui décrochent la mâchoire et affirment le potentiel engageant du métrage – et ce dès l’introduction, véritable sommet de nervosité esthétique présentant une tentative d’assassinat à l’encontre du Président coréen sur plusieurs fronts. À mesure que le film dévoile ses secrets, plus forte est l’implication dans le récit et plus vives sont les tensions entre les différents partis, au point de déceler une touche d’émotion inattendue lors du grand final.
Plus généreux en action que jamais, Lee Jung-jae ne démérite également pas côté écriture. Les complots qui animent les personnages sont sans arrêt désamorcés par de nouvelles révélations brouillant les pistes et divulguant les intentions cachées de chacun. Comme si Hunt voulait au mieux traduire l’état d’un pays qui s’écroule sous ses propres contradictions politiques, les protagonistes offrent suffisamment de nuance à l’ensemble pour que leurs idéaux se conjuguent malgré les conflits idéologiques en interne. Une couche de cynisme mêlée d’espoir certes bien venue concernant le futur des relations entre les deux Corées, mais qui, en revanche, ne suffit pas à compenser certaines lourdeurs scénaristiques ressenties ici et là, ainsi que l’aspect parfois confus de la narration (la faute aux flash-backs). Mais ces quelques maladresses d’écriture représentatives d’un premier long-métrage ne dénaturent pas les intentions d’un Lee Jung-jae désireux d’en mettre plein la vue et de proposer un film dans lequel il serait difficile de ne pas s’impliquer.
En attendant certains titres prometteurs, il se pourrait bien que Hunt soit le blockbuster coréen de l’année. Et c’est pour cette même raison qu’il faut à tout prix le découvrir en salles afin de vibrer le plus fidèlement possible devant le spectacle typiquement coréen que Lee Jung-jae nous soumet.
Richard Guerry.
Hunt de Lee Jung-jae. 2022. Corée du Sud. Projeté au FFCP 2022.