Il y a une vingtaine d’années, la francophonie redécouvrait la Shaw Brothers à travers les éditions vidéo des films cultes de Chang Cheh, Liu Chia-liang et Chu Yuan pour l’essentiel. Ce prisme nous empêchait de voir que la Shaw a produit de nombreux autres réalisateurs moins sur le devant de la scène. What Price Honesty? est, à ce titre, une claque inattendue signée Patrick Yuen Ho-chuen. Le film est disponible en Blu-Ray chez Spectrum Films.
Trois jeunes policiers prennent leur fonction dans la Chine impériale. Ils constatent avec stupeur à quel point la corruption gangrène l’administration à tous les étages, laissant les criminels et les escrocs vivre la belle vie. Épris de justice, ils prêtent serment afin de tenir bon et faire appliquer la loi. Le retour de bâton leur sera dramatique…
What Price Honesty? étonne par la tension maximale qui irrigue l’intrigue. On y retrouve pourtant de prime abord la recette habituelle de la Shaw : la Chine impériale, le kung-fu, des artistes martiaux, des méchants qui ricanent, les fabuleux décors de Clear Water Bay, ainsi que des têtes connues telles que les acteurs et actrices Lo Lieh, Danny Lee et Lily Li. Très vite cependant, le film de Patrick Yuen part sur une idée relativement inédite dans le genre : mettre en scène des policiers face à la corruption. Il y a du Serpico dans What Price Honesty?, à travers ce héros qui, comme Al Pacino, va à contre-courant de sa hiérarchie pour défendre sa conception de la justice. On pense également aux aventures du juge Ti (Detective Dee) ou du juge Bao, pour son intérêt porté à la description de l’administration chinoise. On ne peut s’empêcher de faire le parallèle, au début du film lorsque les héros sont diplômés, à la première scène de Infernal Affairs qui montre les jeunes protagonistes terminer leur formation de policier. What Price Honesty? possède une saveur légèrement différente de ses films cousins de la firme, une nouvelle variation du Jiang Hu, plus concrète, une approche à la Nouvel Hollywood de son sujet, une vision qui, à certains égards, sera rencontrée à nouveau dans le cinéma hongkongais contemporain.
Tout cela ne serait pas grand-chose sans l’excellente qualité générale de la mise en scène, aussi bien concernant la chorégraphie des combats que le rythme du suspense tout le long du récit. Le focus est effectué sur les trois personnages principaux, portraiturés comme de véritables héros, cherchant à concilier leur sens du devoir envers leur honorable fonction avec celui envers leur famille. Le tiraillement que subit l’un d’entre eux, sentant le danger menacer sa femme et ses enfants lors d’actions trop visibles de leur part contre la corruption, est d’une vraisemblance remarquable pour une œuvre qui appartient pourtant à l’imagerie si fantaisiste du giron de Run Run Shaw. Le portrait de la corruption est dans son ensemble étonnamment réaliste, voire actuel pour Hong Kong, la police de la ville au port parfumé ayant été dans les années 1960 épinglée pour sa corruption généralisée au point d’amener à une profonde réforme organisationnelle (voir le livre d’Arnaud Lanuque : Police VS Syndicats du crime). Au début des années 1980, le polar réaliste (ou plutôt à la sécheresse réaliste) venait tout juste de naître à travers la nouvelle vague hongkongaise (L’Enfer des armes, Cops and Robbers, The Saviour) et la Shaw Brothers s’est toujours montrée peu encline à suivre le mouvement de l’industrie ; c’est pourquoi le sujet du film et son traitement est d’autant plus surprenant à se retrouver ici. À cela s’ajoute une mise en scène acérée, notamment dans ses séquences d’action, qui fait poindre le drame toujours au bon moment, agissant tel un électrochoc sur le spectateur.
What Price Honesty? est un joyau méconnu de la Shaw Brothers, dont l’intensité dramatique atteint celle des meilleurs Chang Cheh et Chu Yuan. On se souviendra longtemps de ce final impitoyable, un déluge d’injustices, qui donne au film la capacité d’aller au bout de son idée : les puissants sont corrompus, vont contre le peuple et sont extrêmement difficiles à déloger. À travers cette simple histoire, dans le contexte fantaisiste des films de kung-fu de la Shaw, Patrick Yuen obtient cette assertion globale, solidement menée et donc justifiée.
Bonus de Spectrum Films
Présentation du film par Arnaud Lanuque (11 min). Arnaud Lanuque revient sur les références à la corruption dans la police hongkongaise des années 1950 et 1960 qui ont servi de terreau au film. Il décrit en détail les carrières de l’acteur principal Jason Pai Piao et celle de Danny Lee, qui signe ici son premier rôle de policier à l’écran, lui qui deviendra le visage du policier du cinéma hongkongais à partir des années 1980.
Interview du chorégraphe Yuen Cheung-yan par Frédéric Ambroisine (15 min). Le chorégraphe de What Price Honesty? partage les souvenirs de ses tournages avec Chang Cheh et Chu Yuan, et donne la vision qu’il a des films de ces deux réalisateurs et de l’industrie de Hong Kong de l’époque. L’interview est entrecoupée d’extraits de films de la Shaw sur lequel Yuen a travaillé dans un montage fluide et agréable. Dommage qu’une erreur d’encodage du Blu-Ray coupe le module à 15 minutes (au lieu des 23 montées par Frédéric Ambroisine).
Interview de Jason Pai Piao (14 min). L’acteur principal de What Price Honesty? décrit la façon dont il est entré dans la Shaw Brothers et en dit plus sur l’intention du réalisateur Patrick Yuen : montrer que les policiers ne devraient rien avoir à faire avec les truands.
Interview du secrétaire de la Shaw Brothers Lawrence Wong (10 min). Lawrence Wong nous parle brièvement de Patrick Yuen, qui a eu une très courte carrière au sein de la Shaw Brothers. Selon lui, ce sujet des bons et mauvais flics trottait dans l’esprit de Yuen bien avant la réalisation du film.
Maxime Bauer.
What Price Honesty? de Patrick Yuen Ho-chuen. Hong Kong. 1981. Disponible dans le coffret Blu-Ray What Price Honesty?/Gang Master paru chez Spectrum Films en septembre 2022.