Couronné d’un Ours d’or au Festival de Berlin 1963, Contes cruels du bushido d’Imai Tadashi tranche radicalement avec la romantisation habituelle de la caste des samouraïs et livre un discours aussi violent qu’à fleur de peau sur leur code d’honneur, tout en se hissant parmi les jidaigeki les plus subversifs de son époque. Un portrait sur sept générations d’une famille maudite par les traditions guerrières, que les éditions Carlotta proposent en DVD et Blu-Ray dans une toute nouvelle restauration 4K.
Iikura se rend en urgence à l’hôpital, au chevet de sa fiancée qui vient de commettre une tentative de suicide. En rentrant chez lui, il découvre les écrits de ses ancêtres samouraïs, détaillant les atrocités qu’ils endurent depuis le XVIIème siècle au nom du code d’honneur du bushido. Cette caste de la noblesse militaire accomplissait des actes de violence sur ordre des seigneurs féodaux, mais ils souffraient encore plus de leur cruauté, souvent contraints au suicide rituel.
Un an à peine après le Harakiri (1962) de Kobayashi Masaki, Contes cruels du bushido (1963) confirme la tendance du cinéma japonais de cette époque : la déconstruction de ses propres mythes. Le bushido, code d’honneur érigé sur huit grandes vertus dont la rectitude, le courage, la loyauté ou la bienfaisance, a souvent été romancé par les écrits puis par les films, à tel point que ses fondements philosophiques paraissaient encore inébranlables il y a peu. Mais les contradictions qui persistent entre la notion et la véritable application de ces principes moraux n’échappent pas aux caméras de cinéastes bien déterminés à dévoiler la part d’ombre des guerriers samouraïs et plus globalement des hautes castes de la féodalité. Imai Tadashi, en tant que bon iconoclaste, les présente sous leur jour le plus sombre. L’autoritarisme aveugle des chefs de clan et du shogunat pousse les guerriers à commettre des actes aussi répréhensibles pour eux-mêmes que pour les classes sociales les plus démunies, sous couvert de fierté malsaine et de respect du code d’honneur. Nakamura Kinnosuke, grand acteur de films d’époque ayant prêté sa figure à moult réalisateurs de renom dont Gosha Hideo et Fukasaku Kinji, interprète ici pas moins de huit personnages sur autant de générations qu’il n’en faut pour dénoncer les travers d’un code causant plus de malheur qu’il n’en résout.
Le Iikura du présent, atterré par la tentative de suicide de sa conjointe, explore ainsi la fatalité, la mémoire et la culpabilité de ses ancêtres samouraïs, tous sans exception victimes d’une manière ou d’une autre de leur condition. La loyauté apparaît à la fois comme manifestation la plus haute du sens de l’honneur et justification pour le trahir, en ce que chaque vignette sur chaque époque invite à endurer les tortures subies et perpétrées par la famille d’Iikura : suicides rituels, exécutions sommaires, viols, esclavage sexuel ou castration. Sans se risquer à la pure violence graphique, Imai Tadashi ne lésine pas sur sa mise en scène pour transformer le drame en tragédie familiale aux atours quasi-horrifiques, évoquant parfois jusqu’aux effets de style de Nakagawa Nobuo sur ses films d’épouvante. De la lumière et de l’obscurité naît une tension palpable, et de la réalité de certaines situations une horreur qui se suffit à elle-même pour susciter l’effroi.
Tandis que la chronologie avance (de l’ère Keicho du XVIème siècle au Japon des années 1960), Imai Tadashi semble admettre que les idéologies féodales et impérialistes ont bien plus en commun qu’il n’y paraît, alors que l’Histoire fait de la transition de l’une vers l’autre un point de rupture notable. La guerre moderne, sous le joug de l’Armée impériale, a maintes fois été représentée au cinéma comme le cheminement des traditions rattachées au bushido, prônant une mort noble en vertu de la loyauté d’un sujet envers son suzerain. Mais le tableau n’est pas tout noir. Tout comme il ne suffit parfois que d’un seul film pour abroger l’ordre établi, Contes cruels du bushido laisse à penser que les actions d’une seule personne peuvent suffire à briser le cycle et mettre fin à une malédiction vieille comme le monde, en guise d’espoir pour les générations à venir.
Bonus
Tadashi Imai, le cinéaste du côté des faibles (12min) : portrait d’Imai Tadashi et de son œuvre, raconté en français par le professeur Koga Futoshi de l’Université Nihon de Tokyo. Membre du parti communiste japonais et fervent défenseur des opprimés, le cinéaste a toujours porté son attention sur les malheureux et les marginaux, comme en témoigne Kiku et Isamu (1959) à propos de deux jeunes enfants issus de la relation entre une courtisane japonaise et un GI noir-américain. Indispensable pour accompagner Contes cruels du bushido et sa genèse.
Les bonus comportent également la bande-annonce d’époque.
Richard Guerry.
Contes cruels du bushido d’Imai Tadashi. 1963. Japon. Disponible en DVD et Blu-Ray le 20/09/2022 chez Carlotta.