ETRANGE FESTIVAL 2022 – Spiritwalker de Yoon Jae-keun

Posté le 16 septembre 2022 par

L’Etrange Festival 2022 nous a fait découvrir en avant-première française Spiritwalker, film d’action coréen du réalisateur Yoon Jae-keun, sorti initialement en 2020 en Corée.

Spiritwalker raconte l’histoire d’un homme dépourvu d’identité et amnésique, qui se fait secourir par un homme sans domicile fixe, alors qu’il se réveille, grièvement blessé et extrêmement confus dans les rues de Séoul. Sa désorientation empire lorsqu’il réalise qu’il est atteint d’un phénomène étrange qui le fait changer brusquement d’apparence physique toutes les 12h, à midi et à minuit. Lorsqu’il occupe un nouveau corps, il se retrouve également plongé dans la vie de la personne qu’il usurpe, et change donc également de lieux et de situation qui se présente à lui. Pour couronner le tout, tous les corps successifs qu’il habite sont ceux de personnes qui semblent se connaître entre elles et (souvent) se vouloir du mal, ce qui oblige notre malchanceux héros à tenter d’échapper constamment à la mort, tout en tentant de comprendre ce qui lui est arrivé et qui il est vraiment, en premier lieu.

Spiritwalker démarre en fanfare dans une première séquence assez marquante et survoltée dans laquelle nous ressentons véritablement tout le désarroi du personnage face à cette situation incroyable. La façon d’illustrer cinématographiquement le changement brusque et soudain de corps est également très efficace et intelligente, avec un décor qui se transforme et se meut autour du personnage tandis qu’il change d’identité physique. Un regret cependant : lors de ces transformations physiques, la majorité du temps, l’acteur qui incarne le protagoniste reste le même et nous n’observons ces changements que par flash furtifs ou reflets dans des vitres ou des miroirs. On peut supposer qu’il s’agit d’une volonté de ne pas perdre le spectateur devant des changements perpétuels d’acteurs pour jouer le héros, mais certains effets se trouvent, par là même, amoindris. Lorsque certains personnages évoquent leurs doutes quant à leurs proches qui se comportent soudainement de façon étrange, puisqu’ils sont habités par le personnage principal, nous ne sommes que très peu conscients de la différence, puisque nous observons le même acteur en quasi-permanence. Il aurait alors peut-être été plus intéressant de jouer sur une différence de jeu d’acteur chez d’autres comédiens plutôt que de suivre le même tout le long du film. Lorsque Miike Takashi réalisait l’adaptation en série télévisée du manga MPD Psycho, nous nous retrouvions avec un parti pris similaire de mise en scène d’un esprit qui passe de corps en corps, mais les acteurs changeaient véritablement à chacune de ces occurrences. En résultait une œuvre, certes plus compliquée à suivre, mais qui avait le mérite d’approfondir au maximum toutes les possibilités qu’offrait un pitch si audacieux. Ici, il est un peu frustrant d’assister à un traitement plus timide de cette même logique lorsque l’on était en mesure d’en attendre davantage.

Ce bémol est assez représentatif de Spiritwalker. Là où le film présente un synopsis ambitieux et une introduction efficace, il vire peu à peu vers un traitement de film d’action plus classique, avec de nombreux incontournables du genre qu’il n’essaie pas de rendre originaux. Nous assistons donc à des poncifs tels qu’une histoire d’amour entre le héros et sa belle qui est à la fois courageuse, douée en combat et une femme sensible qui aime son copain, des antagonistes assez manichéens, des trahisons de personnages en position d’autorité par rapport au héros, un sidekick du protagoniste posé là uniquement pour ajouter de l’humour, etc. Rien de nouveau sous le soleil, ce qui est regrettable au vu de ce que l’on était en mesure d’espérer. Le film soulève pourtant des questions intéressantes sur ce qui fonde une identité et à quoi se raccrocher quand on en est dépourvue. On trouve, par exemple, une séquence assez poétique, entre le héros et l’homme sans domicile, soulignant que le héros n’est pas le seul à subir une dépossession de son identité et qu’il en va de même pour ceux mis au ban de la société. Ce propos, à la fois pertinent et intéressant à approfondir, aurait mérité plus de place dans Spiritwalker. Il est dommage de s’éloigner de plus en plus de ce type d’interrogations au fur et à mesure que le film donne la part belle à l’action pure et plus lambda, davantage qu’à son héros et sa situation si particulière.

Spiritwalker n’est donc pas foncièrement insupportable mais il laisse en bouche un arrière-goût de « trop peu » qui le rend frustrant. Les amateurs bienveillants de films d’action devraient pouvoir y trouver leur compte, malgré une ou deux séquences de baston un peu trop rapides et cutées pour pouvoir s’immerger dans leur contenu, mais ceux qui attendaient une panoplie d’expérimentations en lisant son synopsis, auront sûrement du mal à être satisfaits.

Elie Gardel.

Spiritwalker de Yoon Jae-keun. Corée. 2020. Projeté à l’Etrange Festival 2022.