L’Etrange Festival 2022 nous propose, dans le cadre d’une rétrospective sur le réalisateur philippin Mike de Leon, son film Batch ’81 en version remasterisée 4K. L’occasion de découvrir le travail d’un cinéaste méconnu chez nous.
Batch’ 81 est assez facile à résumer : des étudiants à l’université cherchent à intégrer une fraternité et vont devoir, pour ce faire, passer une initiation dans laquelle tous les coups sont permis de la part de leurs aînés et mentors. Le film dépeint alors la série d’épreuves auxquelles sont soumis les candidats et l’effet dévastateur que celles-ci peuvent avoir sur leur psychologie ainsi que sur l’unité du groupe.
Le film se sert du microcosme de l’université pour réellement évoquer la construction de la soumission au fascisme. Toutes les étapes de l’initiation consistent à avilir et déshumaniser les aspirants membres de la fraternité. Les seniors exigent d’eux qu’ils se déshabillent en public, mangent des aliments répugnants, subissent des coups et des insultes sans broncher, se maltraitent les uns, les autres, etc. Batch ’81 est dur à regarder, mais davantage par l’impact psychologique qu’il crée chez le spectateur qu’à cause du gore ou de l’horreur frontale. On n’observe alors pas tant un crescendo de la sévérité des humiliations (à l’exception d’une épreuve plus difficile à observer que les autres) qu’une destruction systématique et implacable de l’amour-propre des candidats. Ces atteintes perpétuelles, les obligeant à rationaliser leur torture pour tenir le coup, les éloignent de leurs proches. Soit les familles et amis des jeunes hommes les encouragent à entrer dans cette fraternité pour les bénéfices sociaux qu’ils peuvent en tirer (se créer un réseau ou avoir la même réussite professionnelle que d’anciens membres de la fraternité par exemple), soit ils les poussent à la quitter une fois la détérioration de leur état mental observée. Dans tous les cas, les candidats n’osent jamais parler des atrocités qu’ils subissent à leur entourage, par volonté de se rassurer ou par honte, et se sentent alors incompris car leur système social ne fait sens que dans le cadre très précis de la fraternité. De Leon met intelligemment l’accent sur cette solitude construite tout au long du film et nous assistons à de plus en plus de séquences qui isolent les personnages, même au sein des cadres, à travers une utilisation grandissante des gros plans. Très vite, l’effet devient alors aussi étouffant pour le spectateur que pour les novices de la fraternité. Tout comme eux, nous sommes impuissants devant cette situation qui ne cesse d’empirer et les enfermer davantage. De même, la solidarité au sein du groupe est aux abonnés absentes, les seniors optant pour une stratégie de diviser pour mieux régner. Les candidats ont tous tellement peur d’échouer à leur initiation que le moindre faux pas de la part d’un de leurs camarades peut les entraîner vers le bas et ils sont alors dans l’incapacité de se venir en aide, ce qui appuie encore davantage l’effet claustrophobe du groupe et par extension, du film.
De Leon ne se contente pas non plus de montrer une situation manichéenne avec d’un côté les bourreaux que sont les séniors et de l’autre les victimes que sont les novices. Les candidats sont certes quasiment tous motivés par une volonté d’appartenance à un groupe quel qu’il soit et plusieurs d’entre eux avouent, de façon assez touchante, ne jamais avoir eu d’amis mais ils ne sont pas pour autant des jeunes gens perdus. Nous comprenons très vite que les aspirants membres de la fraternité ont tous des raisons égotiques de rejoindre ce groupe et, parfois même, une volonté mal placée d’accéder à un statut de dominant. Celle-ci est bien moins sadique et frontale que celle des seniors mais est tout de même perceptible, comme lorsque l’un des novices se plaint que sa femme porte la culotte à la maison et justifie ainsi sa quête d’entrer dans la fraternité. De même, il est forcément implicite que les seniors ont été juniors par le passé et qu’il s’agit d’un cycle qui perdure depuis l’invention de la fraternité. On assiste alors à un mélange particulièrement dévastateur entre des jeunes qui cherchent à accéder à un système social qu’ils idéalisent et la réalité viriliste et fasciste de la construction du pouvoir dans un groupe fermé et select, qui leur promet implicitement de faire d’eux de vrais hommes. La masculinité est véritablement questionnée puisque, parmi les épreuves à accomplir, plusieurs fonctionnent sur la féminisation des novices, qu’il s’agisse de la dimension sexuellement chargée de certaines étapes ou d’un point d’orgue où on leur demande de se travestir. Chaque thématique présente dans le film est traitée avec une vraie pertinence sociologique qui contribue à élever son propos global.
La cinématographie n’est pas en reste et Mike de Leon opte pour un côté très naturaliste qui renforce l’aspect immersif et percutant de son propos, tout en se permettant des moments de fantaisie lorsque besoin est, en insérant des références intelligentes à Cabaret et Orange mécanique. Le film est un quasi-huis clos au sein de l’université, et plus particulièrement dans le repaire de la fraternité et de Leon parvient à garder le spectateur en haleine en montrant ce décor comme un piège qui se referme sur les candidats. Si le propos du film, sur une déshumanisation progressiste par effet de groupe, n’est pas exagérément novateur, le cinéaste parvient tout de même à proposer une œuvre qui ne ressemble à aucune autre.
Batch ’81 est peut-être à déconseiller à un public sensible à la maltraitance psychologique, mais il est à voir pour tous les curieux de cinéma méconnu et innovant.
Elie Gardel.
Batch ’81 de Mike de Leon. Philippines. 1982. Projeté à l’Etrange Festival 2022.