Le film taïwanais Life for Sale de Tom Teng, actuellement en compétition internationale à la 28e édition de L’Étrange Festival, nous offre une adaptation du livre éponyme de Mishima Yukio.
Tout comme dans le roman éponyme, Liang, un jeune homme ayant perdu goût à la vie et ayant raté son suicide, décide de mettre sa vie en vente. Il y a cependant une majeure différence entre le métrage et le livre : c’est en ramassant dans le métro le livre de Mishima que Liang décide d’imiter le narrateur de Vie à vendre. Et c’est avec ce prétexte que Tom Teng nous propose une œuvre se voulant radicalement différente du roman de Mishima, substituant l’acte d’adaptation à un dialogue direct avec l’œuvre originale. Dialogue qui s’avère plutôt fastidieux.
Là où le problème ne pourrait toucher que les amateurs de l’œuvre originale, et donc s’avérer plutôt secondaire, c’est en fait le statut même d’adaptation/relecture qui pose problème à la tenue du métrage. Le concept de vie à vendre est assez fou en lui-même, et promet sur le papier tout un tas de situations rocambolesque. Mais ce concept n’est malheureusement qu’une toile de fond dans le film, et jamais il n’est exploité ou bien développé un minimum, au point où toute l’intrigue pourrait tenir sans celui-ci. De plus, si le film reprend le concept du livre, il en reprend aussi ses thématiques. Et tout comme l’idée de vie à vendre, les thématiques sont très partiellement explorées et semblent plus ralentir le film qu’autre chose.
Le livre de Mishima possède une forte tension absurde autour de la volonté très puissante de mourir de son personnage Yamada Hanio, puisque cette volonté se retrouve sans cesse entravée par une survivance grotesque, quasiment miraculeuse. La pulsion de mort devenant, au fur et à mesure du récit, une pulsion de vie. Et Life for Sale tente de reproduire ce schéma. Mais il se trouve rapidement mis en échec puisque Liang, contrairement à Yamada Hanio, transmet à l’écran une envie de mourir très passive, qui étonne presque lorsqu’il fait quelque chose le mettant réellement en danger. Donc, lorsque cette envie suicidaire est censée devenir radicalement inverse, le tout sonne logiquement plutôt faux. Il y a aussi toute la thématique de la valeur de la vie qui est reprise, complètement martelée et jamais profondément explorée, tandis qu’elle se retrouve assez discrètement dans l’ouvrage Mishima tout en prenant des proportions complètement absurdes.
Le film ne se trouve donc pas en échec parce qu’il ne serait pas assez fidèle, ou bien parce que l’œuvre de Mishima serait trop intouchable pour être adaptée (d’autant plus que Vie à vendre fait figure d’OVNI dans l’œuvre de l’auteur, et étant paradoxalement la plus cinématographique de par son aspect très pop et pulp). C’est bien parce qu’il se retrouve complètement enfermé dans ce concept et dans cette adaptation/relecture dont il ne sait que faire, que le film rate le coche. Son envie de s’en démarquer n’est pas assez assumée pour en profiter, et son adaptation est trop partielle pour y voir quelque chose d’intéressant, le résultat étant peut-être un peu trop brouillon pour rendre honneur aux forces du métrage.
Malgré tout cela, le film possède tout de même de gros points forts. Il nous propose notamment de nombreuses intrigues, toutes très attractives : on a tout d’abord une sorte de drame social romantique entre le personnage principal et sa voisine de pallier, tous deux perdus dans leur vie et gérant ce mal-être différemment ; un polar survolté, avec des membres de triades complètement fantasques et cruels ; un thriller politique à la lisière de la science-fiction. Si ces 3 trames principales, de manière autonomes, promettent beaucoup, elles s’imbriquent cependant assez mal, causant un rythme très inégal. La romance prend le pas durant les deux premiers tiers du film, devenant même le moteur de la mise en vente de la vie de Liang, tandis que les deux autres sont résolues très rapidement en fin de film. Toutefois, le scénario arrive à se tenir, puisque les personnages sont suffisamment bien écrits et développés donner envie de s’intéresser à eux. Mais aussi parce que les enjeux propres au film, s’ils ne sont pas bouleversants, ont le mérite de tenir éveillé et de proposer un divertissement rondement mené. Tout cela tient également grâce à une interprétation formidable de la part des acteurs, notamment de Tsai Ming-shiou en parrain de triade impitoyable et Janel Tsai en femme influente énigmatique.
De plus, la photographie est fortement mise en valeur dans le film. Chaque scène se trouve magnifiée par un travail sur la lumière très impressionnant. Tom Teng ne se contente pas de filmer uniquement une ville pluvieuse dans une nuit baignée de néons (et quand il le fait, force est de constater qu’il ne le fait que trop bien), mais il se permet également quelques excentricités. Il y a aussi certaines séquences en animation qui, si elles semblent gratuites, restent tout de même assez stylisées pour être agréables à regarder. Et même si la mise en scène pâtit à son tour d’une légère inégalité dans ce qu’elle propose, ses fulgurances restent assez fortes pour écraser les quelques scènes d’action pouvant paraître peu inspirées.
Le film, en dépit de ses problèmes flagrants et de ses imperfections, reste donc un objet formel assez satisfaisant à regarder. Il ne faut cependant pas y aller pour son concept, ni pour y voir une adaptation de Mishima, dans le risque d’être déçu ou frustré.
Thibaut Das Neves
Life for sale de Tom Teng. Taïwan. 2022. Projeté à l’Etrange Festival 2022