VIDEO – Sword Master de Derek Yee

Posté le 8 septembre 2022 par

 

Énième relecture du film de sabre classique et particulièrement de celui dont il s’inspire (Death Duel de 1977 de la révérée Shaw Brothers) ou proposition ambitieuse ? Sword Master de Derek Yee, disponible en DVD et Blu-Ray chez Wild Side, parvient-il à renouveler un genre ultra-codifié sans risque d’overdose ? Réponse en dansant avec le mouvement des oripeaux de Jiyan Yiyan (City of Life and Death).

Un épéiste assassin, autodidacte et fine lame, est hanté par les conséquences de son talent mortel et par la recherche d’un adversaire à sa taille, tout en cherchant un endroit pour mourir. Son adversaire potentiel est le fils d’un chef de clan qui, las du carnage qu’entraîne le monde des arts martiaux, décide de devenir un vagabond et d’échouer dans une maison close. Les deux hommes finiront-ils par se rencontrer ?

Seconde adaptation de L’Epée du troisième maître (un roman de Gu Long), le nouveau film du réalisateur Derek Yee (Protégé) ici également coscénariste est donc une tentative audacieuse de retour au sources d’un grand classique du chanbara. Acteur en 1977 dans le film dont il se jumelle aujourd’hui (car oui autrefois Derek Yee fut un acteur iconique d’œuvres mythiques comme L’Hirondelle d’or ou Le Tigre de jade), le metteur en scène s’est entouré de deux auteurs majeurs : Chun Tin-nam (Seven Swords ou Crime Story – excusez du peu) et… Tsui Hark (ici également producteur) ! En effet, la « caution » et la valeur ajoutée de Hark est incontestable. On parle du monteur de The Blade, producteur de The Killer, réalisateur de Zu, les guerriers de la montagne magique ou La Bataille de la montagne du tigre… Et la liste est interminable. Une sorte de dream team du film de sabre donc pour une œuvre dont l’objectif avoué est de renouer avec la grandeur de ses illustres prédécesseurs. Hommage aucunement emprunté aux chefs d’œuvres précités, la révérence réussit partiellement son contrat tout en laissant un goût amer d’inachevé dans les pupilles de l’amateur de l’âge d’or du wuxia.

 

Il était une fois un maître

Autant de suite mettre les pieds dans le plat, Sword Master ne brille pas par son originalité, loin s’en faut. La frontière est mince entre la révérence, l’hommage inspiré, la modernité d’une nouvelle inspiration et une relecture fade car trop timide. Sword Master penche malheureusement vers ce dernier aspect. Utilisant son matériau de base narratif (classique par définition puisque d’époque) avec respect, il est toutefois difficile de trouver quelques inspirations si ce n’est inattendues tout au moins originales et salutaires. Jonglant avec adresse certes, mais mécaniquement avec les thématiques aussi flamboyantes soient-elles que sont l’amour, la trahison, l’honneur ou la vengeance : force est de constater que le propos peut au mieux séduire les profanes curieux d’une vision « moderne » du film de sabre, au pire ennuyer les érudits qui semblent avoir déjà vécu 1000 fois une telle expérience cinématographique… Nous pourrions également citer les sempiternels complots entre clans, l’évolution de conflits familiaux ou le retour de karma quand aux répercutions de nos actes (le personnage du grand patron)…

Dommage car ce récit d’épéiste assassin aux démons infernaux et mortels (et la boucle est bouclée avec le souhait de sa propre finitude) parsemé de romances contrariées, de la « naissance » d’un guerrier tout aussi torturé et enclin à embrasser la grande faucheuse, possède le potentiel d’une aventure passionnante. Mais cette traversée du fleuve des enfers, inégale et confuse, échoue souvent à transmettre la passion de ses intentions. Bien que souvent trop peu subtils, le film possède évidemment (sans avoir le charme de ces pellicules datant d’une cinquantaine d’années) nombre d’atouts indéniables pour peu que l’on se laisse aller à la connivence. La direction artistique d’une Asie fantasmée pour commencer. A l’instar du jeu vidéo Ghost of Tsushima par exemple, le métrage multiplie ainsi les moments de bravoure et de poésie sur les aspects les plus importants que l’on attend d’une œuvre d’art sur grand écran. Certaines chorégraphies sont ainsi particulièrement réussies, la musique orchestrale est la plupart du temps enivrante car variée (la plupart du temps car le score se veut parfois pompier) et certains plans transpirent la beauté et l’implication. On songe par exemple aux voyages en barque, à ce magnifique arbre mort, à la brume, aux différentes forêts, bougies ou escaliers particulièrement bien filmés. Au-delà d’ailleurs de ce délice plastique, impossible de ne pas citer une dose d’humour saupoudrée avec intelligence. Magnifiant sa recette picturale avec de sublimes actrices aux costumes tous plus resplendissants les uns que les autres, par de vrais instants hors du temps comme l’entraînement dans la forêt des « faibles »: le métrage réserve donc de jolies surprises à l’énergie communicative et bienveillante.

C’est toutefois trop peu pour emporter l’adhésion et ne pas prendre conscience de certains errements particulièrement dommageables… Classique dans le mauvais sens du terme, on préfèrera évoquer une naïveté mielleuse agaçante. Tout comme ses combats, l’écriture des personnages ou les thématiques explorées ont été vues et ressenties des dizaines de fois et avec beaucoup plus de pertinence, la réalisation peine elle aussi à ne pas souffrir de certains moments embarrassants. De cette sortie 3D lors de son exploitation (grossière et ratée par ces insupportables arrivées face caméra) à ces fonds verts ou toiles dessinées particulièrement dommageables (on ressent très souvent le tournage en studio), les motifs de griefs (ou plutôt d’amertume) sont particulièrement nombreux… Sans même évoquer la direction d’acteur catastrophique, les poncifs scénaristique parachèvent sans doute aucun d’annihiler tout optimisme quant aux futurs éléments déclencheurs du récit… De l’insupportable benêt au vieux maître, du séducteur au cœur pur à la servante malmenée, n’en jetez plus : vous aurez malheureusement droit à tous les poncifs du genre.

A l’évidence, le traitement réservé à Sword Master eut été particulièrement efficace pour une pièce de théâtre kabuki, pour le « surjeu » notamment. On peut en effet imaginer que l’utilisation des studios face à des prises de vue en extérieur fut un volonté conjointe mais le jeu incompréhensiblement mauvais des acteurs laisse planer un véritable doute quant aux intentions des auteurs… De certaines frustrations (les thématiques de vengeance, d’amour contrarié ou de déshonneur familial) à de réelles déceptions comme la qualité de certains effets spéciaux, le film est une déception. On peut toutefois y préférer certaines réussites incontestables que sont sa science du cadrage, ses costumes et des instants de grâce renouvelant parfois l’intérêt. En l’état, le film se déguste donc avec bienveillance d’un œil distrait, tous les défauts précités ayant peut-être été (in)consciemment saupoudrés par ses auteurs et leur volonté de classicisme. Sword Master ressemble donc à la découverte d’un breuvage millénaire, un thé d’exception mais dont le temps d’infusion fut à l’évidence insuffisant.

Jonathan Deladerrière

Sword Master de Derek Yee. Chine. 2016. Disponible en DVD et Blu-Ray chez Wild Side le 07/09/2022