VIDEO – Viva Erotica de Law Chi-leung et Derek Yee

Posté le 30 juillet 2022 par

Parmi les belles sorties Spectrum Films récentes, se trouve un petit bijou du cinéma hongkongais des années 1990 : Viva Erotica de Derek Yee et Law Chi-leung, une œuvre de cinéma sur le cinéma, passionnante et pertinente à bien des égards.

Sing est réalisateur de cinéma à tendance arts et essais et vit avec sa petite-amie, policière. Ses deux derniers films ont connu l’échec au box-office. Son producteur exécutif lui propose alors un projet de film X au rabais pour se refaire. Confronté à des acteurs en service minimum, une maison de production malhonnête, un collaborateur de longue date avec qui il ne s’entend plus, et une copine qui supporte de moins en moins le trou dans lequel il s’enfonce, Sing va se frotter d’un bloc à toutes les difficultés d’être cinéaste à Hong Kong.

Cette volonté de dresser le portrait d’un auteur de cinéma à Hong Kong va de pair, en 1996, date de sortie du film, avec l’état de l’industrie hongkongaise : le public se détourne des salles de cinéma et le piratage nuit fortement aux finances du milieu. Les maisons de production, plus que jamais et dans un environnement déjà fortement imprégné de recettes commerciales, tolèrent de moins en moins les échecs au box-office. Dès lors, quelle est la place de l’artiste, celui qui a besoin d’un maximum de fonds pour réaliser son intention sans, dans l’absolu, se soucier de toucher un public le plus large possible ? Par la lorgnette d’un petit cinéaste campé par un Leslie Cheung impeccable, les réalisateurs Derek Yee et Law Chi-leung entendent montrer le quotidien difficile des acteurs du milieu du cinéma, le couperet qui peut s’abattre sur eux, que ce soit un chef-opérateur mis au ban suite à une altercation, ou bien le sort funeste qui attend les réalisateurs rejetés une fois de trop par le public.

Que l’on ne s’y trompe pas : autour de ce propos grave vient se greffer une mise en scène généreuse, haute en couleur et bourrée d’humour. Les réalisateurs usent d’une touche exubérante mais maîtrisée, avec des effets de style qui viennent souligner le grotesque de cet environnement, tels que des accélérés, des gros plans sur des visages d’acteurs aux expressions comiques prononcées, et une colorimétrie vive. Entrant de plain-pied dans son sujet, le film n’hésite pas à montrer du nu, masculin comme féminin. Au-delà des talentueux Leslie Cheung et Karen Mok, des êtres simples perdus dans le quotidien hongkongais, le film peut compter sur deux acteurs originaux. Avant Viva Erotica, Shu Qi n’a joué que dans deux films de cinéma (dont Sex and Zen 2, qui dispose de bases cinématographiques réelles malgré son appartenance au registre du film érotique). Auparavant, elle s’était fait connaître comme mannequin de charme pour des vidéos et photos érotiques. Viva Erotica, bien que tournant encore autour de l’industrie du X, lui permet d’affirmer ses qualités d’actrice qui, 25 ans plus tard, ont fait d’elle l’une des plus grandes icônes chinoises du cinéma. Ici, son jeu tantôt naïf, tantôt agacé amuse beaucoup, et son rôle permet même de porter un regard critique sur ces femmes à la plastique parfaite que le milieu exploite minablement. À ses côtés, Elvis Tsui, qui est aussi son partenaire dans Sex and Zen 2 campe un rôle plus en nuance, l’homme simple derrière l’acteur porno perçu comme brutal. Chinois de patrie, il a commencé par des apparitions ou des seconds rôles dans le polar, notamment chez Ringo Lam. Dans les années 1990, il enchaîne Sex & Zen 1 & 2 puis Viva Erotica, où il tire son épingle du jeu à travers la diversité de son interprétation. Le quatuor d’acteurs inspirés, parfaitement dirigés, permet au film de prendre toute sa saveur.

Viva Erotica montre toute l’étendue de ses qualités dans sa conception méta : lorsque Miss Mango, interprétée par Shu Qi, évoque les raisons de sa venue dans le cinéma à Hong Kong, elle s’adonne à un monologue parsemé d’éléments réels de la vie de Shu Qi, faisant ainsi écho à la scène d’amour plus tôt, où le personnage de Leslie Cheung, voyant que son film ne prend pas, demande à son couple d’acteurs de se souvenir d’un ébat qu’ils ont eu dans leur vie comportant une caractéristique précise. La scène devient alors parfaite et bien interprétée. En usant du vécu de Shu Qi et Elvis Tsui, en créant des protagonistes nommés Derek Yee et Wong Jing, faisant référence à des noms réels, le film s’avère charnel, et son propos particulièrement convaincant.

Viva Erotica parvient à incarner chaque pièce du milieu du cinéma hongkongais avec un didactisme salutaire. Outre les acteurs et le réalisateur-scénariste, l’intrigue décrit le rôle du producteur exécutif, du chef-opérateur et des différents techniciens. Malgré les tourments qui hantent les artistes et techniciens de la Catégorie III dans la réalité et comme incarné par le personnage de Leslie Cheung, l’érotisme est finalement défendu comme registre cinématographique. En témoigne cette scène entre Leslie Cheung et son chef-op, qui se passent des VHS de films érotiques stylisés, comme Une Famille dévoyée, parodie rose d’Ozu, depuis sorti dans nos contrées. Pour toutes ces raisons, que ce soit la profondeur de l’exploration de son sujet ou tout simplement le divertissement que procure le film grâce à sa mise en scène dynamique, riche et vivante, principalement le fruit du travail de Law Chi-leung, Viva Erotica est un film à voir, surtout pour les amoureux du cinéma comme sujet.

Bonus de l’édition Spectrum Films

Présentation du film par Arnaud Lanuque (17 min). Arnaud Lanuque, comme d’accoutumée dans le travail éditorial chez Spectrum Films, introduit parfaitement l’environnement du film, en revenant sur les origines de la Catégorie III comme classification, comme genre, puis sur l’inspiration du film, à savoir la vie du réalisateur Bosco Lam, ancien assistant de Wong Jing, qui aspirait à un cinéma romantique et qui s’est retrouvé sur les plateaux de films Catégorie III comme réalisateur. Il décrypte certaines subtilités du scénario, comme le personnage de Derek Yee incarné par Lau Ching-wan, qui ne reflète pas tout à fait le vécu de Derek Yee, le vrai réalisateur qui, par ailleurs, n’est même pas très impliqué sur Viva Erotica, mais fait office de porte-nom. Law Chi-leung est le véritable réalisateur de Viva Erotica, et il est un ami proche de Bosco Lam. Arnaud Lanuque revient enfin sur les carrières d’Elvis Tsui et Shu Qi, en précisant pour cette dernière qu’elle est le seul cas d’actrice ayant rebondi à un haut niveau après la Catégorie III.

Interview de Law Chi-leung (avril 2022, 30 min). Les interviews de réalisateurs se font légion dans les éditions vidéo et celle-ci se place largement au-dessus de la mêlée, grâce au franc-parler de Law Chi-leung , qui parvient à évoquer tous les axes du contexte de son film en disant ce qu’il pense réellement (et non sans un humour grinçant). Il se souvient de ses relations avec son ami Bosco Lam, Derek Yee, Leslie Cheung, du casting de Shu Qi où il a su déceler en dix minutes que c’était l’actrice qu’il lui fallait…. Il se rappelle également ce qui faisait l’apogée du cinéma de Hong Kong et pourquoi cela a disparu aujourd’hui, pour des raisons bien politiques. Il raconte l’écriture du script, qui relève bien du vécu de Bosco Lam (qui devait à la base réaliser le film), mais dont beaucoup d’éléments proviennent de la vie de Law Chi-leung et de son regard sur l’industrie hongkongaise. Il témoigne de son goût pour le cinéma japonais et énonce, telle une évidence, sa principale source d’inspiration pour Viva Erotica : Itami Juzo et son Tampopo.

Podcast Catégorie III du PIFFF (2019, 3h30). Quatre intervenants discutent très longuement sur l’Histoire de la Catégorie III. Est évoqué le contexte politique de Hong Kong, les films « pré-catégorie III », c’est-à-dire ceux qui ont posé les jalons avant que le système de classification ne soit établi. Un débat sur une flopée de films marquants est mené, à commencer par le premier film à être catégorisé de la sorte, Men Behind the Sun/Camp 731. Les échanges sont très intéressants, même s’il faut avouer qu’un podcast aussi long n’est pas forcément très adapté pour être écouté en bonus d’un Blu-ray.

Maxime Bauer.

Viva Erotica de Law Chi-leung et Derek Yee. Hong Kong. 1996. Disponible en combo Blu-ray/DVD chez Spectrum Films le 04/07/2022.

Imprimer


Laissez un commentaire


*