MUBI – Taipei Suicide Story de KEFF

Posté le 1 juillet 2022 par

Dystopie minimaliste et à la tonalité mélancolique, Taipei Suicide Story est un petit bijou du jeune réalisateur taïwano-américain KEFF. Ce moyen-métrage de 45 minutes se trouve actuellement disponible sur MUBI.

Dans un futur proche, un nouveau genre de business a fait son entrée, non sans controverse : des hôtels à suicide. Les clients payent une nuit, service tout compris, et ont accès à plusieurs moyens de mettre fin à leurs jours ; à la charge des équipes de nettoyage de récupérer les corps au petit matin. Un jour, un technicien remarque qu’une cliente dort dans une chambre depuis une semaine, sans mettre en œuvre ce pour quoi elle est venue. Le manager, après un sermon, se lie avec elle, et lui laisse le choix de faire ce qu’elle désire vraiment une fois la nuit passée.

Taipei Suicide Story brille dans la connexion qui réside entre son atmosphère et le portrait de sa cliente, ce personnage si doux et générateur d’une grande empathie. Venir dans un tel lieu implique, on l’imagine, un désespoir profond, ou a minima un sentiment ferme de non-adéquation avec le monde qui l’entoure. Mais jamais le réalisateur et scénariste ne cherchera à donner des indices sur son vécu, car l’objectif ne se situe pas ici. Cette cliente trouve étonnement un semblant de sérénité dans un tel endroit, ce qui lui fait retarder son action. L’interaction avec le manager va quelque peu la réveiller et lui offrir deux choix possibles : accomplir son acte ou rentrer dans le monde. Toute l’épaisseur du film se déploie alors, le sentiment de lâcher-prise faisant son apparition. Le restaurant est fermé, c’est l’occasion de contempler la ville à travers la fenêtre, dans une atmosphère feutrée. Il est tard et finalement, le manager comme la cliente se retrouvent comme deux pauvres hères au milieu de ce Taipei cynique, qui fait argent avec le malheur des gens – et qui justifie l’allusion au film d’Edward Yang Taipei Story dans le titre. Le contexte taiseux du film est propice à l’étude du non-dit et à la contemplation de l’instant présent. Pur film atmosphérique, Taipei Suicide Story s’intègre dans un propos sur la fin de vie et rapproche sa mise en scène silencieuse de films tels que Together Apart, ou plus lointainement, After Life de Kore-eda Hirokazu. Le sujet du suicide assisté, lui, trouvera écho dans le film japonais Plan 75.

Malgré cette emphase sur une atmosphère délicate et mortuaire, le dénouement de l’intrigue apparaît tel un brutal retour à la réalité pour les personnages, et un brutal retour aux fondements de la narration au cinéma pour le spectateur. Derrière l’ambiance sur laquelle table le film pendant ses trois quarts, il y a des personnages qui ont une trajectoire dictée par un scénario, et son achèvement nous rappelle qu’il n’étaient pas des pantins désarticulés seulement au service de la beauté plastique du film. Ils ont leur histoire, individuelle puis commune, des sentiments et des faits de vie. De ce point de vue, Taipei Suicide Story n’est pas glauque et se situe du côté de la lumière, en évoquant la douleur des êtres humains dans le monde contemporain et la tristesse que génère la disparition auprès de leurs semblables. Jamais le morbide n’est valorisé au détriment d’une étude de ce qui constitue la vie, le quotidien et les aléas des individus dans le monde moderne. Nous évoquions le non-dit et l’absence d’explication de la venue de la cliente, les quelques bribes de paroles que s’échangent les deux protagonistes à propos des nouilles instantanées adorées pendant l’enfance ou comment expliquer auprès de ses proches de réaliser un travail aussi controversé, sont des éléments parfaitement signifiants et à justement dosés, pour expliquer ce qui ne va pas dans la modernité, et pourquoi la grisaille est générale. Ce thème est d’ailleurs accentué par l’absence de foule dans l’hôtel : le vide (le manque ?) est partout.

Taipei Suicide Story est un petit choc dans le cinéma taïwanais, qui offre à ses personnages de belles interactions, sans fioriture et avec beaucoup de justesse.

Maxime Bauer.

Taipei Suicide Story de KEFF. Taïwan. 2020. Disponible sur MUBI.

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