Les Haruno habitent une petite ville de montagne près de Tokyo. Sachiko, la cadette de huit ans, cherche à faire disparaître son double géant. Hajime, son frère, lycéen, vit son premier amour.
Écran noir ; bruit d’essoufflement, on devine une course effrénée. L’image apparaît, le souffle s’arrête aussitôt, laissant place à des pépiements d’oiseux. C’est dans ce jeu de butées, de cache-cache, de déphasage entre l’image et le son que s’ouvre cette fresque familiale, aussi douce que dingue. Les qualités de The Taste of Tea, les raisons de l’aimer sont nombreuses. En voici au moins trois :
– La réalisation s’évertue à déjouer les attentes que le public cinéphile nourrit autour du « film japonais familial » (un sous genre en-soi du J-drama), en résolvant les prévisions par une poésie enfantine. Par exemple : au garçon qui court pour rattraper son train répond un gros plan de son visage essoufflé du front duquel sort une file de wagons. Le tout est orchestré comme un poème absurde et tendre, à l’instar de ceux que le directeur adjoint de l’école primaire lit au petit matin, perlé d’une pluie éparse de fleurs de cerisiers et sous des applaudissements timides. La musique en leitmotiv est elle aussi à l’image de ce lyrisme ubuesque. En distordant légèrement les aigus d’une sorte de balafons, Ishii produit de l’étrange à partir des codes d’une comptine. Les séquences compilent une succession d’images absurdes à l’imaginaire fort et burlesque, comme cette crotte humaine sur un œuf dépassant de terre (scène absolument hilarante !), ou bien le moment où le grand-père au diapason chante à sa petite fille « Pourquoi es-tu un triangle ? »…
– L’œuvre apparaît éminemment impressionniste, au sens pictural : à partir des éléments extérieurs de la nature (une rizière, un ruisseau, les fleurs d’un cerisier…), il décrit, par les opérations propres au cinéma, une multitude de mondes intérieurs. Par exemple, le visage de la petite Sachiko apparaît en gros, sortant de la terre, comme si elle régnait en secret sur le petit jardin de la famille. En étant assez peu bavard (et quand il l’est, c’est par souci de musicalité plus que par fonction informative), ce film taiseux mêle une certaine contemplation à l’énigme. La beauté des cadrages et la science édifiante du rythme, exemplaire pour ses rimes et pour sa mécanique comique, la splendeur des couleurs qui renforcent la part pittoresque fondent ses principaux atouts plastiques. Dans cette longue quête de la truculence, l’œuvre peut juste sentir un peu l’artifice et manquer d’authenticité en apparence.
– Le style de la réalisation tourne en dérision le patrimoine du cinéma japonais, comme ce repas de famille où il singe les champs contrechamps à 180° d’Ozu, ou le plan d’une cheminée de crematorium qui évoque celle du Dernier caprice. Le jeu de renvoi se retrouve jusque dans le titre (The Taste of Tea évoquant Le Goût du riz au thé vert ozuesque). Autres évocations cinéphiles : lors d’une scène où de jeunes hommes tournent en moto dans une cour d’école, et qui évoque le Kids Return de Kitano, les expériences effrénées qui invoquent l’immixtion prise de vue réelle/animation chère à Obayashi ou encore les japanimes nerveux et fluides de Yuasa.
Bonus
Force est de constater : Spectrum Films est probablement un des meilleurs éditeurs en activité, ne serait-ce que par la quantité des bonii qu’il propose (soin qui se fait rare parmi les récentes éditions vidéo). En voici le détail :
L’introduction par Fabien Mauro permet d’entendre le spécialiste détailler la filmographie du cinéaste avec érudition, depuis ses études, en passant par ses débuts dans la publicité et jusqu’à ses premiers courts et longs reconnus. Il insiste notamment sur son goût pour le mélange entre les prises de vue réelle et l’animation. Avec justesse, il rapproche, à ce propos, l’auteur de Gondry et Spike Jonze. On peut apprendre notamment qu’il a participé à la production de la partie animée de Kill Bill vol. 1. Fait notable, Fabien Mauro rapproche le film des Mouchoirs jaunes du bonheur de Yoji Yamada, l’auteur de la saga des Tora-san. Dans son analyse, il renvoie souvent à Party 7 (2000) auquel The Taste of Tea fait écho dans son humour scatophile. La citation nourrie des précédents films d’Ishii donne envie de voir Spectrum les éditer.
Making-of : on peut y entendre Ishii qualifier son œuvre de « film nonchalant« . Il révèle également son rêve de tourner un « petit film avec un gros budget » (ce que semble être The Taste of Tea). Il commente avec enthousiasme, notamment, la nature du du grand-père et les chansons, dont la fameuse scène de la chanson de la montagne.
Ce qui est formidable dans ce bonus, c’est de voir les moments de tournage, dont certaines des scènes les plus drôles, sous un autre angle. Est offerte au spectateur l’occasion d’entendre tous les acteurs (même les plus secondaires) commenter plusieurs fameuses séquences juste après les avoir tournées. Les plus remarquables étant le grand-père et la petite fille (à l’image de leur personnage, tout aussi saisissant).
Interview de l’équipe du film : lors de l’avant-première du film au Japon en 2004, avant la projection à Cannes, 8 membres de l’équipe du film viennent accompagner la première projection publique : le réalisateur Ishii Katsuhito, la jeune actrice Banno Maya, l’adolescent Sato Takahiro, le père Miura Tomokazu, la mère Tezuka Satomi, le grand-père Gashuin Tatsuya, le grand frère Asano Tadanobu et la lycéenne Tsuchiya Anna.
L’une des interventions les plus juste est celle de l’acteur qui joue le père qui dit que, avec ce film, les comédiens se sont tous libérés des techniques du passé pour trouver un ton frais, libre et unique.
Ishii révèle que le titre renvoie à son enfance où il buvait du thé. Il avait au début pensé comme titre à Soucis printaniers. Mais pour éviter que le film soit cantonné à un sujet prédéfini, il a choisi un titre plus personnel. L’ensemble du bonus permet de découvrir plusieurs autres rencontres avec le public captées pendant plusieurs mois en 2004 à travers tout le Japon.
The Taste of Tea à Cannes : ce bonus parcourt toute l’aventure autour de la diffusion du film en ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes 2004. On voit les coulisses de la préparation (test des bobines en salle, préparation de la petite Banno Maya auprès de Dior, etc.) ainsi que la conférence de presse du réalisateur, de la jeune actrice, de Asano et du producteur. Mais aussi la projection publique, les press junkets…
Le clip de la partie animée : en plus du plaisir de revoir, isolé, ce moment de pur bonheur comique, on apprend que la séquence a été produite par Mad House (maison de production de la plupart des Kon et Hosoda) et que le réalisateur prête sa voix au personnage de Big 1.
Flavien Poncet
The Taste of Tea de Ishii Katsuhiro. Japon. 2004. Disponible en Blu-Ray chez Spectrum Films le 28/04/2022