MUBI – Le Passé d’Asghar Farhadi

Posté le 14 mai 2022 par

Le réalisateur iranien Asghar Farhadi est encore à l’honneur sur MUBI. On se replonge dans Le Passé.

Quand Ahmad (Ali Mosaffa) arrive d’Iran en France, il semble perdu. Il demande son chemin, ne trouve pas la sortie. A quelques pas de lui, derrière une vitre, Marie-Anne (Bérénice Bejo) l’aperçoit et tente de l’appeler à elle, en vain. C’est la première scène du film, et c’est aussi une des plus belles. On croit aux retrouvailles d’un couple amoureux, mais cette vitre instaure tout de suite une distance entre eux. Les mots de Marie-Anne sont perdus, Ahmad ne la remarquera que bien après. C’est une jolie introduction. En quelques plans, le cinéaste nous parle de l’incompréhension au sein d’un couple avec une force étonnante.

Ce fameux passé ne se dévoilera qu’au fur et à mesure, mais on découvre rapidement qu’il est pluriel. Le passé d’un couple marié, un suicide, ou des moments passés en famille, tout un tas de souvenirs remontent à la surface pour éclater finalement au grand jour. Tous les personnages portent encore en eux les stigmates de ces événements. Ils ont cette tristesse insondable dans le regard (même les enfants, tous très bons). On a l’impression qu’ils portent la misère du monde sur leurs frêles épaules. Le passé est un film triste et morne, comme ce pavillon de banlieue où la famille recomposée est installée.

Pourtant, plus le film avance, plus il perd la subtilité de ses débuts, comme si Farhadi se sentait obligé d’appuyer les situations pour bien se faire comprendre. Envolés les regards fuyants du début, la mise en scène simple mais pourtant évocatrice. L’Iranien tombe dans le piège et livre finalement un drame familial français assez stéréotypé.

Le cinéma de Farhadi est irrigué par cette idée selon laquelle les gens les plus proches peuvent être ceux que l’on connaît le moins. Ici, cela est illustré en partie avec le personnage de Lucie (touchante Pauline Burlet), fille de Marie-Anne, qui sera aussi au centre de l’intrigue. Mais finalement, la beauté résultant de cette méconnaissance est en partie annihilée par un martelage systématique (Bérénice Bejo se demandant à haute voix ce que veut sa fille plusieurs fois dans le film, par exemple).

Pour ce qui est de ce fameux passé, on en arrive à s’en désintéresser totalement. Le film devient répétitif dans ses effets et ne finit par ne plus raconter grand-chose. La faute à un dernier tiers qui se révèle totalement hors de propos. Farhadi joue la carte du suspense, et finit de rendre les choses un peu grotesques. Il y a une enquête (mené par Ahmad, l’électron libre, témoin puis acteur malgré lui), des témoignages, des rebondissements. Oui, il y a des rebondissements dans Le Passé, et quand le premier est assez émouvant, la suite désamorce totalement ce qui aurait pu être déchirant.

Les acteurs sont ce qui sauve un peu Le Passé du ratage. Ils sont tous très bons, de Bérénice Bejo, fragile et marquée par la vie, à Tahar Rahim, jouant toujours à merveille l’homme bourru, un peu rustre. Ils ont, malgré les manquements du scénario, assez de talent pour nous émouvoir, nous faire rentrer à nouveau dans le film, sans toutefois nous faire oublier la lourdeur et la maladresse de l’ensemble.

Jérémy Coifman

Le Passé d’Asghar Farhadi. Iran-France. 2013. Disponible sur MUBI