VIDEO – Battle Royale de Fukasaku Kinji

Posté le 14 janvier 2022 par

M6 Vidéo ressort le diptyque Battle Royale et Battle Royale II dans un coffret remasterisé Blu-Ray 4k ultra HD : l’occasion de se (re)pencher sur le premier film, sorti en 2000 et l’un des chefs d’œuvre du réalisateur culte japonais Fukasaku Kinji (Le Lézard noir, la saga des Combat sans code d’honneur, etc.).

Adapté du (très bon) roman éponyme de Takami Koshun, le premier film Battle Royale est devenu un tel phénomène qu’il paraît presque superflu de le présenter. Ce survival narre la mise en application de la loi « Battle Royale » visant à faire décroître la délinquance juvénile dans un Japon, alors en crise. Chaque année, une classe d’ados « difficiles » est sélectionnée et emprisonnée sur une île déserte, dans un protocole encadré par l’armée. Les collégiens disposent alors de 3 jours pour se battre à mort entre eux, jusqu’à ce que n’émerge qu’un seul survivant. Fukasaku nous fait suivre la classe de 3ème B, tirée au sort pour participer à la nouvelle édition de cette Battle Royale. Ce principe du « jeu de survie » n’a pas été inventé avec Battle Royale et on peut penser à des exemples antérieurs de livres et films suivant ce thème, notamment le Running Man de Stephen King adapté au cinéma par Paul Michael Glaser ou bien Le Prix du danger de Robert Sheckley et son adaptation en film par Yves Boisset. Néanmoins, il n’est pas abusif de dire que Battle Royale a révolutionné ce concept de survival et véritablement lancé une vague de films, livres, mangas, séries et jeux vidéo, inspirés plus ou moins explicitement du roman de Takami et du long-métrage de Fukasaku. Nous pouvons citer pêle-mêle la saga des Hunger Games, le manga Kaiji, les séries Alice in Borderland et Squid Game, les franchises vidéoludiques Danganronpa et Zero Escape, comme faisant partie de la (très) longue lignée des œuvres ayant découlé de Battle Royale. L’œuvre a même donné son nom à une catégorie entière des jeux vidéo opposant les joueurs sur une carte restreinte avec peu d’équipements jusqu’à ce qu’une équipe ou une personne soit la dernière en vie, comme Fortnite, Call of Duty: Warzone ou Apex Legends. En bref, il y a eu un avant et un après Battle Royale, en ce qui concerne le genre de l’action/horreur, tous médiums de fiction confondus.

Quand bien même certaines des œuvres citées ci-dessus sont d’une grande qualité, Battle Royale demeure un monument inégalable et inégalé. Le film parvient à trouver un équilibre extrêmement juste entre une critique sociale et politique globale et les conséquences du jeu sur les valeurs et comportements de ses (nombreuses) victimes. Le propos de Battle Royale a été à maintes reprises analysé et décortiqué par des critiques et théoriciens et le spectre d’interprétations traduit la richesse et la pertinence du film. Battle Royale parvient à traiter de (presque) toutes les dérives totalitaires du néolibéralisme tout en évitant un propos simplificateur. En ce sens, l’insert du point de vue du professeur, M. Kitano, joué par l’iconique Kitano Takeshi (Hana-Bi, Outrage, Sonatine, etc.), dans un de ses meilleurs rôles, témoigne d’une situation dans laquelle tous les personnages sont victimes d’une situation qui les dépasse. M. Kitano, au départ très satisfait de pouvoir enfin rendre la monnaie de leur pièce à ceux qu’il considère être des délinquants sans valeur, ne fait finalement que sombrer plus profondément dans la dépression, au fur à et mesure du jeu. Son insatisfaction due à ce qu’il considère être le déclin de la société ne peut être comblée que par une vengeance ou une reprise de pouvoir sur ces jeunes, tant le problème est bien plus vaste. La question posée à la fin de la version longue de Battle Royale : « Dans cette situation, que peut dire un adulte à un enfant ? » rend explicite le fait que le propos politique du film dépasse le simple conflit intergénérationnel. L’incapacité des adultes à assumer les travers d’un système en pleine implosion qu’ils lèguent à leurs descendants, et qui mène à la loi Battle Royale, est finalement la raison de leur chute, qui se poursuivra d’ailleurs dans le second opus.

En prime de ces constats, Fukasaku réussit le tour de force de ne pas céder au nihilisme et au cynisme, qui aurait pu se dégager de telles thématiques. Les divers points de vue des élèves, certes moins développés que dans le roman original mais toujours présents, en plus d’éviter une déshumanisation malvenue, témoignent des limites de l’être humain dans une situation totalitaire mais également de leur volonté de les dépasser. Nous observons des personnages qui tentent de survivre en acceptant les règles mais également ceux qui s’entraident, ceux qui refusent de participer, quitte à en payer les conséquences, ceux qui se mettent en danger volontairement pour aider le groupe, etc. Les dérives funestes du jeu surviennent d’ailleurs à plusieurs reprises lorsque cette union est brisée. Le « Quelles idiotes, on aurait pu toutes s’en sortir », clamé par une élève après qu’un soupçon de trahison ait fait exploser son groupe d’amies de l’intérieur et déclenché un massacre, résonne à ce niveau comme une mise en garde. En plus de l’insurrection face au totalitarisme, c’est véritablement l’union qui fait la force et c’est d’ailleurs elle qui permet aux survivants de mettre fin à cette spirale de tragédies. Néanmoins, Fukasaku ne cède pas non plus à la facilité et ne présente pas les comportements individualistes comme un défaut personnel des élèves qui choisissent de prendre part au jeu. Leurs actions ne sont que le fruit du conditionnement qu’ils subissent, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de l’île de Battle Royale. Fukasaku fait ainsi le tour de la question complexe des capacités d’actions possibles dans un système qui les restreint volontairement.

De même, l’utilisation de la violence assez graphique qui a valu au film d’être interdit au moins de 15 ans au Japon soulève des questions assez intéressantes. L’aspect volontairement exacerbé de certaines scènes de meurtre les font tendre davantage vers l’artificiel que vers un traitement réaliste. Fukasaku réoriente alors le regard vers la vraie violence : l’organisation de cette Battle Royale, davantage que celle de ses pions. On a souvent comparé la mise en scène de certains plans de Battle Royale à un jeu vidéo et ce caractère vidéoludique des combats à mort permet à Fukasaku d’être plus explicite sur ceux qu’il cible comme responsables. Les élèves ne font qu’évoluer dans ce monde contrôlé, abstrait et contrefait dans lequel plus rien n’est concret. A ce titre, une volonté de réalisme aurait probablement rendu le propos et les thématiques du film plus confus et maladroits, quand bien même cette représentation des mises à mort a pu heurter le spectateur, à sa sortie et même après.

Le coffret de M6 Vidéo permet de profiter des deux versions de Battle Royale : la version cinéma et la version longue. Au spectateur de choisir sa préférée, les deux ayant chacune leurs avantages. La version cinéma, plus incisive, était celle prévue par Fukasaku originellement, tandis que la longue est plus peut-être plus sentimentale et poétique, avec une inclusion bienvenue de scènes additionnelles concernant les élèves, qui permettent de mieux s’attacher aux personnages. Le travail de restauration 4K ultra HD du coffret, quant à lui, est véritablement impressionnant. Les plans, déjà très beaux, sont sublimés par une netteté encore jamais vue sur ce film, qui donne ainsi l’impression de le redécouvrir, même lorsqu’on l’a déjà regardé à plusieurs reprises. Lorsque l’on assiste à la diffusion de plans originaux dans les bonus, la comparaison saute aux yeux sans même avoir besoin d’y prêter attention. Cette ressortie offre donc un excellent prétexte pour revoir le film ou bien pour le découvrir, pour quiconque serait passé à côté de ce pilier du cinéma japonais contemporain.

Bonus

Chaque CD Blu-Ray est accompagné d’un lot de bonus. Du côté de la version cinéma, nous avons la bande-annonce originale, un making-of et une vidéo de l’avant-première japonaise. Sur le Blu-Ray de la version longue, nous trouvons des images de tournage, un nouveau making-of des scènes additionnelles, une vidéo sur la confection des effets spéciaux, des images des répétitions, l’enregistrement de la bande-originale à Varsovie, des images de l’anniversaire de Fukasaku lors du tournage, la présentation du film au 13ème festival du film de Tokyo et la vidéo originale des règles de Battle Royale. Un contenu additionnel qui permet d’avoir accès à de très nombreuses informations sur le film et de ses coulisses en particulier. La majorité des images réalisées en dehors ou en préparation du tournage sont très intéressantes, en particulier lorsqu’on y voit les méthodes de travail de Fukasaku, très consciencieux et ayant déjà visiblement une idée très précise des images qu’il compte obtenir. Il est également très amusant et presque perturbant de voir les acteurs se comporter entre eux comme les adolescents qu’ils étaient à la période du tournage, dans une ambiance de tournage très amicale, joyeuse et détendue, après avoir assisté au film.

Elie Gardel.

Battle Royale  de Fukasaku Kinji. Japon. 2000. Disponible en Coffret Blu-ray et Blu-Ray 4k chez M6 Vidéo le 01/12/2021 .

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