Après trois précédents films sortis dans nos contrées (L’Histoire du chameau qui pleure, Le Chien jaune de Mongolie et Les Deux chevaux de Gengis Khan), la réalisatrice mongole Byambasuren Davaa est revenue sur les grands écrans cet été avec Les Racines du monde, une coproduction germano-mongole. Le film est disponible en DVD aux éditions Les Films du Préau.
Dans les steppes mongoles, le petit Amra souhaite s’inscrire au concours Mongolia’s Got Talent en tant que chanteur, la célèbre émission TV qui vient faire une halte dans son école. En parallèle, son père lutte contre une société étrangère qui exploite les ressources minières de la région et qui essaie d’en déloger les habitants nomades. Alors qu’Amra chante en voiture avec son père au volant, fier d’avoir passé le casting, un accident intervient et change complètement sa vie.
Les Racines du monde s’attache à explorer le sujet de la dépossession des sols aux habitants de la Mongolie par l’industrie minière internationale. La question du sol mongol est en étroite relation avec le mode de vie des nomades des steppes, leurs croyances et d’une façon générale, leur façon d’appréhender l’environnement, le nomadisme ne signifiant pas que l’on peut déménager n’importe où quand on veut. À cet effet, le film brille par son scénario, simple mais implacable, détaillant avec précision le rôle des Mongols dans leur vie citoyenne. Le père d’Amra possède deux casquettes : le père, modèle de son garçon, et le citoyen engagé. Le personnage est écrit de telle manière que rien ne vient entraver le réalisme de ce qu’il apporte. L’aura bienveillante qui émane de lui n’est pas surlignée, et demeure celle d’un homme comme il faut, qui se bat pour préserver sa propriété, ses droits. La mère d’Amra est une voix plus raisonnée, qui n’en demeure pas moins affectueuse envers son enfant. Amra, lui, aura un destin assez différent. Tantôt écolier rêveur, tantôt enfant travailleur dans un sol empoisonné, la portée dramatique du film passe par son rôle. Très mûr pour son âge, il est le moteur du scénario. Quatrième personnage majeur, le « ninja » (nom attribué à ceux qui exploitent illégalement les sols) est une sorte de seconde autorité paternelle pour Amra, qui rappelle et explique comment surviennent les écarts à la légalité et les dangers qui vont de pair, dans un monde pourri par la finance et la corruption.
L’intrigue brille donc par son réalisme à toute épreuve, qui n’omet d’ailleurs aucun mot au sujet de tous les agents de la société. Ainsi, au détour d’un conseil dans une yourte, un villageois ne manque de dire à quel point on ne peut pas compter sur les politiciens de la capitale, tant ils vivent dans des appartements dorés et ont oublié leurs origines nomades. C’est pourquoi, à juste titre, la mise en scène ne vient jamais parasiter la valeur du propos. Les steppes mongoles sont magnifiques, et même si quelques plans viennent appuyer des éléments du décor, comme l’arbre sur lequel Amra et son père viennent mettre des offrandes de rubans bleus, la réalisatrice ne cherche pas à transformer ses plans en images d’Épinal, preuve d’une volonté accrue de porter la politique à l’écran, puisque ses précédents films se révélaient plus lisse à ce niveau. Mieux : la sobriété de la mise en scène et l’épuration du scénario de toute emphase trop dramatique rendent le film à la portée de n’importe quel spectateur, et avec un regard anthropologique, donc documentaire, sur la société des steppes. L’introduction de l’émission Mongolia’s Got Talent est une autre manifestation de ce réalisme, qui en reprenant une émission très populaire, existante, avec le même jingle et un effet de captation télévisuelle lors du prime, assoit définitivement l’intrigue dans cette démarche.
Nous l’avons cependant dit plus haut, les actions d’Amra se révèlent un peu plus romanesques que le reste, lui qui rêve de briller au chant devant ses concitoyens et part chercher de l’argent pour survivre par le pire moyen possible. Ces errances dans des forages illégaux n’est pas sans rappeler la sécheresse de certains drames ou thrillers chinois contemporains se déroulant dans le désert et dans les mines (Wrath of Silence, People Mountain, People Sea) ; à ce moment, le film décolle pour mieux donner corps d’un point de vue cinématographique à la portée dramatique de ce qu’il décrit. D’une manière générale, Byambasuren Davaa a su manier la narration de telle manière à créer de l’information, des gestes à la portée documentaire çà et là, et une emphase dramatique bien dosée, les deux élans ne venant jamais se contredire. Le cinéma mongol ne venant que peu s’égarer dans nos salles de cinéma, Les Racines du monde, et le cinéma de Byambasuren Davaa demeure une entrée de choix pour appréhender la culture cinématographique de ce pays, ainsi que ces enjeux géopolitiques.
Bonus
Entretien avec Charlotte Marchina, anthropologue et enseignante à l’INALCO (20 minutes). Spécialiste de la Mongolie, l’intervention de Charlotte Marchina est parfaite pour décrypter le film sous toutes ses coutures, des petits rituels du quotidien que les personnages exécutent en arrière-plan, aux enjeux économiques modernes de la société mongole. Surtout, Charlotte Marchina explique le rapport des éleveurs mongols à la terre, aux esprits et à leur mode de vie nomade, en rappelant qu’il n’est jamais incompatible avec la modernité et la technologie, tel qu’on peut le voir dans le film.
Livret d’accompagnement. Ce supplément demeure assez simple dans sa conception mais balaie tous les éléments principaux qui irriguent le film, à commencer par le portrait des personnages, puis le rôle des décors, quelques informations économiques bienvenues. Le plus intéressant demeure la courte interview avec la réalisatrice qui nous éclaire sur son intention.
Maxime Bauer.
Les Racines du monde. Mongolie-Allemagne. 2020. Disponible en DVD aux éditons Les Films du Préau le 04/01/2022.