En 2016, Davy Chou nous laissait entrapercevoir le quotidien d’une partie de la jeunesse marginale cambodgienne dans Diamond Island. Comme s’il s’inscrivait dans la fin du geste de Davy Chou, Kavich Neang continue cette exploration en fixant sa caméra cette fois sur un jeune homme, sa famille et son White Buidling.
On suit Samnang (Piseth Chhun), un jeune homme de Phnom Penh dans une sorte de chronique initiatique rythmée par la destruction du bâtiment où vit sa famille. Dès le premier plan aérien et les séquences qui mettent en scène le groupe d’amis de Samnang, la caméra de Kavich Neang est flottante, comme si ce à quoi nous assistons était déjà un souvenir, aussi bien dans la diégèse que pour le spectateur qui assiste réellement à « l’enregistrement du réel ». Car c’est dans cette porosité entre la fiction qu’il met en scène et les espaces en plein mouvement de construction/déconstruction que se joue le dispositif esthétique du cinéaste cambodgien. Quoi qu’il arrive, nous ne sommes jamais réellement dans le présent, ni dans l’instant, mais toujours dans un entre deux entre l’appréhension de ce qui vient de se jouer et les répercussions que cela aura dans l’image suivante. C’est parce qu’il épouse la subjectivité de Samnang, presque par glissement, que le film bascule dans une sorte d’onirisme qui replace les drames de la famille de Samnang dans l’espace qu’est sont bâtiment, donc dans un temps, celui de la ville, de sa vision, et donc de la vie. White Building replace l’expérience de Samnang dans le macrocosme qu’est celui de l’impulsion socio-économique du Cambodge.
Comme dans Diamond Island, les mutations de la ville et des espaces rejouent ceux, invisibles, des regards adolescents qui deviennent des regards d’adultes. White Building semble hanté par le futur qui s’ouvre devant les yeux du jeune homme et qui, par la destruction qu’il nécessite, rappelle étrangement le passé du Cambodge, tout comme l’exil que subit la famille en dehors de la ville à la fin de l’œuvre. Cette analogie flottante dans l’œuvre est incarnée par des images oniriques ou des procédés de mise en abyme, de cadre dans le cadre ou d’images de vieille télé dans l’image. Cette analogie entre la période sombre de l’histoire du pays et le futur libéral qui se dévoile devant la caméra de Kavich Neang rappelle que peu importe la configuration politico-économique, les victimes semblent toujours être les même. Mais l’œuvre ne va pas non plus très loin dans ce constat, car elle reste comme dans sa première partie, à la hauteur du regard du jeune homme qui, contrairement à sa famille, ne voit pas le changement comme un recul, mais comme une évolution. Pourtant, entre ses souvenirs, son présent en ruine et son futur incertain, White Building n’a pas la lourdeur de ses thèmes, et son dernier acte reflète bien le mouvement initié dès le premier plan et qui irrigue le tout. Tout comme la jeunesse, la matérialité de nos situations est éphémère ; elle ne trouve de la beauté que dans leur devenir en souvenirs. Mais cette beauté est à jamais teintée de regrets, de fantômes, et donc d’une mélancolie qui dresserait les tableaux des images de nos existences, piégés dans le cadre des fenêtres, des portes, et des couloirs de nos constructions intimes. Et c’est cela que Kavich Neang, non sans maladresse, parvient à capter avec une certaine justesse dans White Building.
Kephren Montoute
White Building de Kavich Neang. Cambodge. 2020. En salles le 22/12/2021