FESTIVAL DU FILM KAZAKHSTANAIS 2021 – Yellow Cat d’Adilkhan Yerzhanov

Posté le 11 décembre 2021 par

Projeté à L’Étrange Festival 2021 nous nous replongeons avec plaisir dans le 9e long-métrage réalisé par Adilkhan Yerzhanov, Yellow Cat, actuellement programmé au Festival du Film Kazakhstanais.

Le temps d’un film, Adilkhan Yerzhanov met de côté quelques thèmes récurrents de son cinéma tels que la corruption des institutions, ou bien encore la place des femmes dans la société kazakhstanaise, pour raconter une histoire à la simplicité surprenante. En l’occurrence, celle de Kermek, un ex-détenu un peu candide dingue de cinéma (surtout du Samouraï de Melville) qui, ayant du mal à se réintégrer dans la société, se met en tête de réaliser son projet un peu fou : construire un cinéma. Un joli projet qui ne se fera pas sans difficultés, surtout quand on entreprend de financer un rêve avec de l’argent sale. En chemin, il va croiser le chemin d’Eva, prostituée une peu paumée qui va le suivre dans son odyssée.

Loin des polars noirs et secs qu’il a pu réaliser comme A Dark, Dark Man, ou bien encore des drames plus mélancoliques comme La tendre Indifférence du monde, le réalisateur signe ici une douce et touchante aventure dans les campagnes kazakhstanaises, une parenthèse pleine d’humanité et de tendresse dans un monde qui semble pourtant plus que jamais régi par la corruption, la violence et le crime. Si en début de métrage on ne comprend pas immédiatement ce qu’il se passe et qui est le héros de cette histoire, c’est pour mieux pousser le spectateur à s’intéresser à ceux qui d’habitude sont relégués au second plan, les laissés pour compte d’un système dans lequel ils n’ont plus leur place. Kermek passe de figurant à second rôle avant d’arriver sur le devant de la scène, le temps d’une hilarante imitation de Delon et dès cet instant, le vrai film commence et Kermek va tout faire pour réaliser son rêve. Mais la réalité va souvent le rattraper et lui rappeler que rien de bon n’arrive à ceux qui osent rêver trop fort.

Dans son odyssée cinéphile, il va rencontrer des prostituées, un policier corrompu, des fermiers un peu pervers sur les bords et des forces de l’ordre aux limites de l’incompétence, un détail récurrent dans l’œuvre de Yerzhanov qui, décidément, ne semble pas avoir une haute estime pour les forces de l’ordre de son pays, qu’il dépeint soit comme des individus pourris jusqu’au trognon, soit comme de parfaits imbéciles armés mais aussi dangereux qu’une portée de chatons.

Mais s’il persiste encore au détour de quelques séquences à taper sur ses cibles de prédilection, Yerzhanov n’oublie jamais que son sujet principal, c’est Kermek, son cinéma, et ses mésaventures pour y arriver. Son personnage a beau être un peu naïf et beaucoup trop optimiste pour son propre bien, à aucun moment il n’est tourné en ridicule ni traité, en tout cas par le script, comme un nigaud. Là où la plupart des gens qu’il croise ont une vie assez minable (les policier rackettent une recette de kermesse comme si c’était le coup du siècle), il est le seul à oser rêver à mieux. Sa passion, c’est le cinéma, il voue un culte à Alain Delon dans Le Samouraï qu’il a vu plein de fois mais pas en entier (la scène où il en parle à Eva comme un gosse est touchante à en pleurer), et il ne semble jamais douter de la faisabilité de son projet. Même sa relation avec Eva est d’autant plus touchante que Kermek semble parfaitement conscient de la situation de la demoiselle (une prostituée qui prend le large), mais il ne la voit que comme une personne susceptible de l’aider à faire tourner son cinéma, chose qu’Eva accepte, un moindre mal si cela peut lui garantir un avenir plus rose que la maison de passe où elle travaille.

Les habitués du cinéma d’Adilkhan Yerzhanov reconnaîtront immédiatement le style du réalisateur, cette mise en scène influencée par Tati ou bien encore Aki Kaurismaki, ou comment accentuer visuellement et de manière assez dépouillée (en apparence) l’absurdité d’une séquence. Qu’il s’agisse de filmer une scène de formation d’ouverture de sac plastique en supérette ou une fusillade à coup de trampoline (comprenne qui verra), le film est un des plus drôles de son réalisateur. Qui plus est, au-delà de son indéniable maîtrise du tempo comique, Yerzhanov arrive à insuffler de la poésie et de la tendresse qui cueillent le spectateur sans prévenir, notamment lors du dernier acte dont nous tairons le dénouement, mais qui contient une scène pleine d’amour, de joie et de tristesse qui touche droit au cœur, le temps d’un champs/contre-champs bouleversant.

On notera au passage que son héros étant amoureux de cinéma, le réalisateur en profite pour citer, de manière plus ou moins diégétique, plusieurs films qui ont un lointain point commun avec le sien. Par exemple, au détour d’une scène de complicité entre Kermek et Eva, la bande originale convoque le You’re So Cool de Hans Zimmer pour True Romance, déjà lui-même inspiré du Gassenhauer entendu dans le Badlands de Terrence Malik.

Inutile d’en dire d’avantage, Yellow Cat se pose comme un des meilleurs films d’Adilkhan Yerzhanov, le tendre et touchant voyage d’un rêveur amoureux de cinéma dans les plaines kazakh, doublé d’une sincère déclaration d’amour au grand écran de son réalisateur.

Romain Leclercq.

Yellow Cat d’Adilkhan Yerzhanov. Kazakhstan. 2020. Projeté au Festival du Film Kazakhstanais 2021