Déjà réputée et récompensée pour son travail d’actrice en Inde, la jeune Konkona Sen Sharma s’essaie en 2016 à la réalisation avec A Death in the Gunj, un drame familial fébrile et sensible. Mélange prometteur d’influences bengalis et de références hollywoodiennes, le long-métrage est à découvrir sur Amazon Prime Video.
.
Dans une scène en contre-plongée qui n’est pas sans rappeler un célèbre plan de Reservoir Dogs (Tarantino, 1992), deux hommes à la mine défaite ouvrent un coffre de voiture. Ils tentent d’y faire rentrer un corps qu’ils viennent de récupérer à la morgue. Une fois leur mission accomplie, ils s’installent à l’avant de la voiture. Sur la banquette arrière, un jeune homme est assis, le regard vide. Quels événements ont donc pu mener à cette tragique situation ? Pour le comprendre, la réalisatrice Konkona Sen Sharma nous propose de revenir une semaine en arrière.
Dans la même voiture bleu ciel, une jeune famille est en route pour passer ses vacances de Noël à la campagne. Sont aussi présents Mimi (Kalki Koechlin), la meilleure amie de Bonnie, la mère (Tilotama Shome, révélée mondialement dans l’acclamé Sir en 2018), et Shutu (Vikrant Massey), le timide cousin de Nandu (Gulshan Devaiah), le père. Ils sont bientôt rejoints par des amis d’enfance dans la maison familiale. Mais ce n’est qu’avec Shutu que Tani, la petite fille du couple s’entend le mieux. Doux et maladroit, le jeune garçon est le cadet et le souffre-douleur de la joyeuse troupe. Mal à l’aise avec les autres et se remettant tout juste de la mort de son père, Shutu passe ses journées avec l’enfant, qui semble être la seule à pouvoir le comprendre. Mis à l’écart, incompris et violenté par ceux qu’il aime, Shutu tente de trouver un échappatoire.
A Death in the Gunj part en fait d’un présupposé simple, qui permet de maintenir un suspens intéressant pendant toute la durée du film : un des personnages va mourir, mais lequel ? Dans un huis-clos étouffant, Konkona Sen Sharma met en scène un cercle familial qui broie sans pitié ses membres les plus faibles. La tension monte à mesure que la semaine avance, jusqu’au point de non-retour. Plus qu’un thriller, A Death in the Gunj se transforme alors en drame social et aborde tout en subtilité les thèmes de l’abus émotionnel, de la construction masculine et du pouvoir du groupe.
Interprété par Vikrant Massey, Shutu est un personnage qui illustre avec justesse le difficile passage de l’adolescence à la vie adulte. Son immaturité et son innocence, que la réalisatrice ne filme pas sous un jour négatif mais avec une grande tendresse, sont violemment confrontées à l’âpreté du rejet, aux premiers émois et au poids du deuil et des responsabilités. Après des débuts prometteurs mais discrets dans Lootera (Vikramaditya Motwane, 2013) et Dil Dhadakne Do (Zoya Akhtar, 2015), Vikrant Massey marque ici un tournant dans sa carrière, qui sera définitivement propulsée grâce à la sortie la même année de Lipstick Under My Burkha (Alankrita Shrivastava, 2016), un long-métrage remarqué pour son discours sexuellement émancipateur et sa critique du patriarcat.
Des thématiques également présentes dans le premier film de Sen Sharma, qui marie le socio-réalisme du cinéma parallèle bengali des années 1950 à une esthétique pop plus proche du cinéma indépendant américain récent. Un mélange assumé qui domine depuis plusieurs années les films de la Nouvelle Vague indienne, initiée par Anurag Kashyap avec Black Friday en 2004. On notera d’ailleurs la présence de l’ancienne muse de Kashyap, la franco-indienne Kalki Koechlin, dans le rôle de la séduisante Mimi. Mais si l’on retrouve dans le long-métrage l’attrait de Kashyap pour le réalisme ainsi que pour des personnages destructeurs et occidentalisés, Sen Sharma impose un univers très personnel, presque pastellisé et contemplateur, loin des caméras frénétiques et des images criardes du réalisateur de Dev D (2009).
Ponctué par des moments de douceur entremêlés d’une grande violence physique et morale, A Death in the Gunj est donc un objet particulier, qui permet à Konkona Sen Sharma de se distinguer et de remporter, en 2018, le Filmfare Award du meilleur premier film : une consécration pour cette enfant de la balle, fille de la grande actrice et réalisatrice Aparna Sen et de l’écrivain et journaliste Mukul Sharma, auteur de la nouvelle qui a d’ailleurs inspiré le film.
Malgré un premier essai convaincant derrière la caméra, Konkona Sen Sharma n’a malheureusement pas pour l’instant de nouveaux projets de long-métrage en vue : on pourra toutefois la retrouver en 2022 en tant qu’actrice dans le très attendu The Rapist, réalisé par sa mère.
Audrey Dugast
A Death in the Gunj, de Konkona Sen Sharma. Inde. 2016. Disponible sur Amazon Prime Video.