FFCP 2021- The Book of Fish de Lee Joon-ik

Posté le 12 novembre 2021 par

Comme pour son inauguration avec Escape From Mogadishu, le Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) a décidé de faire appel à un autre habitué du festival pour conclure en beauté cette 16e édition : Lee Joon-ik avec son nouveau film The Book of Fish. On peut dire qu’on l’attendait de pied ferme depuis la déception que fut Sunset in My Hometown.

Lee Joon-ik n’est pas un inconnu des sélections du festival et il a largement été commenté dans nos colonnes. Nous avons été très enthousiasmés par ses films Le Roi et le Clown et Dongju : Portrait d’un poète, et ceux qui ont assisté aux séances de Hope ont eu du mal de se remettre du choc. En prenant un peu de recul sur son œuvre, on commence à voir se dessiner une réelle cohérence dans les thèmes abordés. Outre le fait que bon nombre de ses films sont basés sur les récits biographiques de personnalités historiques, Lee Joon-ik porte un intérêt certain pour les relations souvent difficiles voire conflictuelles entre des hommes du peuple pour la plupart des lettrés, des intellectuels ou des artistes et des représentants du pouvoir, rois de Corée ou envahisseur japonais.  

Dans The Book of Fish, le réalisateur s’intéresse au destin de Chung Yak-jeon, savant à la cour et confident du roi Jeongjo qui, à la mort de ce dernier, se retrouve persécuté, avec ses frères, par les héritiers du pouvoir, la Reine douairière Jeongsun et ses ministres. Sont mis en cause leurs intérêts pour les études concernant les inventions technologiques en provenance de l’Occident et les doctrines de la religion catholique. En représailles, il sera condamné à l’exil sur l’île de Heuk-san. Accueilli par la population et hébergé par la veuve Gageo, il va s’intéresser à Chang-dae, un jeune pêcheur, fils naturel d’un noble, épris de littérature et de confucianisme. 

On peut trouver original de la part de Lee Joon-ik de s’intéresser au personnage Chung Yak-jeon, grand penseur et savant en sciences pratiques, plus méconnu pour les Coréens que son jeune frère Chung Yak-yong dont les travaux sont mentionnés dans les manuels scolaires encore aujourd’hui. Peut-être y avait-il de la part du cinéaste la volonté de mettre en lumière cette personnalité importante de la culture coréenne à ses concitoyens. Au travers de son récit, il va montrer l’évolution de son personnage et de sa pensée durant la période la plus difficile de sa vie. 

La première partie se concentre sur la confrontation avec ses juges qu’il affronte, notamment par solidarité envers ses frères eux aussi emprisonnés pour les mêmes motifs. Durant son jugement, il fera preuve de pragmatisme et préférera renoncer à la foi catholique plutôt qu’à sa vie. La seconde partie s’attarde sur son exil sur l’île de Heuk-san et s’avère plus légère dans son traitement. Le cinéaste filme avec assez de truculence cet évènement qui secoue l’île. Il joue de cette intégration forcée d’un homme de lettres au sein d’une communauté de modestes pêcheurs. Lee Joon-ik s’intéresse surtout à ce qui rapproche les hommes. Chung Yak-jeon est dépeint comme quelqu’un de curieux et d’observateur, loin des clichés de l’érudit savant en provenance de la capitale qui prend les occupants de l’île pour une bande de ploucs. Nous sommes loin des standards de la comédie française. Le réalisateur développe au cœur de son histoire l’amitié naissante et la relation de maître à élève entre Yak-jeon et Chan Dae, jeune pêcheur lettré qui, pour se rapprocher d’une figure paternelle absente et inatteignable en raison du fossé ente les classes sociales qui les sépare, consent à partager ses connaissances inestimables sur la faune marine en contrepartie d’une éducation confucianiste officielle. Durant ces échanges le réalisateur va confronter différentes formes de pensées et d’aspiration, entre une vision plus pragmatique du savoir de l’un à laquelle s’oppose l’ambition politique et idéologique de l’autre. 

Tandis que le jeune frère , lui aussi en exil, mais dans une région moins isolée, écrit des ouvrages sur l’art de gouverner, la diplomatie et enseigne la poésie à ses disciples, Chung Yak-jeon quant à lui se plonge dans la rédaction d’un livre pratique sur la faune marine. Et c’est justement ce qui va enrichir les pages de cet ouvrage et qui va rapprocher dans un premier temps le savant du peuple, et va par la suite, éloigner le jeune pêcheur de ses proches. Et pourtant, chacun d’entre eux retirera son propre enseignement de cette rencontre qui conclura cette dernière partie, qui peut sembler plus amère et mélancolique et pourtant riche d’enseignements : comment devenir un homme intègre au sein d’un gouvernement corrompu ? Une question qui taraude le réalisateur de films en films et qui, a défaut de trouver toutes les réponses, interpelle les spectateurs au travers du parcours de ces personnages. 

Lee Joon-ik livre un film pictural saisissant. Bien que le choix de l’emploi du noir et blanc soit de nature économique, le cinéaste, avec la complicité et le talent de son directeur de la photographie Lee Ui-tae, parvient à restituer une image qui rappelle les peintures traditionnelles coréennes au lavis. Cette reconstitution plus modeste que les grosses productions et plus dépouillées dans leurs superbes compositions laissent le champ libre aux acteurs d’occuper l’espace et de s’exprimer. Et pour cela, il peut se reposer la présence de Seol Kyung-gu, déjà saisissant dans Peppermint Candy et Oasis de Lee Chang-dong, qui disparaît sous les traits de son personnage et livre une interprétation subtile et nuancée. Face à lui, on retrouve le jeune et charismatique Byeon Yo-han que l’on avait découvert au FFCP dans Socialphobia. Le cinéaste parvient à trouver une belle dynamique dans ces relations à laquelle il ajoute des petites touches d’humour qui ne viennent jamais étouffer la gravité du propos mais plutôt renforcer les liens humains. Ce trait d’union est parfaitement rempli par le rôle de la veuve auquel Lee Jung-eun (Parasite) apporte sa bonhommie et son jeu chaleureux. 

Vous l’aurez compris, Lee Joon-ik rattrape largement son dérapage Sunset in My Hometown et livre avec The Book of Fish l’un de ses plus beaux films. Non seulement le film s’avère, malgré son modeste budget, le plus abouti plastiquement, mais se démarque par sa subtilité dans ses interrogations sur le pouvoir de la connaissance et la connaissance du pouvoir. De plus, il parvient à retranscrire avec beaucoup de brio le récit biographique d’une personnalité peu connue des Coréens et du monde grâce à l’efficacité de ses outils de fiction. Une belle découverte. 

Martin Debat.

The Book of Fish de Lee Joon-ik. Corée du Sud. 2021. Projeté au FFCP 2021