FFCP 2021 – Voice of Silence de Hong Eui-jeong

Posté le 2 novembre 2021 par

Le Festival du Film Coréen à Paris (FFCP), revenu sur les rails après une année de perturbation, présente pour sa 16ème édition Voice of Silence de Hong Eui-jeong dans la section Paysage. Le film fut récompensé notamment aux Blue Dragon Film Awards et Fantasia International Film Festival.

La cinéaste Hong Eui-jeong a travaillé dans la publicité entre ses études en Corée à l’Université Nationale des Arts de Corée, véritable réservoir de talents, et celles en Angleterre à la London Film School. Encore novice dans le domaine, elle n’a réalisé jusqu’à maintenant que deux films. Son court-métrage sorti en 2018, Habitat, disponible sur Youtube, décrit une anecdote de la vie quotidienne dans une Corée unifiée en mettant en avant le jeu naturel, l’air de rien de Byun Hee-bong, le père dans The Host de Bong Joon-ho. Cette histoire dystopique peut surprendre, puisque l’on n’a jamais imaginé les deux Corées réunies sous une forme quelconque dans le médium cinéma, alors que l’unification du pays est considérée comme un vœu commun chez les Coréens.

Son deuxième film et premier long-métrage Voice of Silence est sorti en 2020. Le scénario a déjà été sélectionné comme un des douze meilleurs projets à la Biennale de Venise Collage-Cinema 2016/2017.

Deux hommes, Tae-in et Chang-bok, servent de « nettoyeurs » pour un gang de malfrats. Ils nettoient les scènes de crime et font disparaître les cadavres. Un jour, on leur demande de garder une petite fille enlevée, le temps de récolter la rançon. Mais tout ne se passe pas comme prévu…

Contrairement à une apparence de thriller au vu de son synopsis, le ton du film vacille entre la comédie noire et le drame. Le genre est difficile à définir, ou plutôt, il s’y refuse. C’est même la clé du film. Ses paysages lumineux et bariolés détonnent avec la palette du film noir. Le paysage splendide et paisible où le crépuscule recouvre les dos des personnages, lorsque les deux hommes méditent un plan de crime, vient créer une ironie. La cinéaste entend ainsi se concentrer sur la question de la survie au-delà du bien et du mal.

Chang-bok, boiteux et chrétien fidèle, reconnaissant de pouvoir travailler, ne rechigne pas à la tâche. A ses côtés, un jeune homme, Tae-in, qui ne peut (ou ne veut) pas parler pour une raison inconnue, s’occupe des corvées à sa place. L’habileté et la sincérité du duo qui, en fin de compte, collaborent avec des criminels, nous rappelle la banalité du mal de la savante allemande Hannah Arendt. Cho-hee, leur otage, nous surprend, quant à elle, par son côté très déluré pour une gamine de 11 ans. Sa ruse contraste avec la naïveté de Tae-in. Elle, pourtant toujours victime de cette affaire, mène la danse.

Face à la survie, tout bascule, et les principes moraux semblent perdre leurs sens. La cinéaste consacre le film à briser des codes et à montrer l’absurdité de la vie à travers ses personnages. Si Bong Joon-ho, lui-aussi, prend souvent plaisir à tordre nos clichés (par exemple, riches naïfs et pauvres malins dans Parasite), c’est plutôt une petite parenthèse humoristique dans le traitement de son sujet principal. Mais pour Hong Eui-jeong, cet aspect paradoxal est le but même du film et la question que la cinéaste nous lance. La réalisatrice infuse ce paradoxe à quasiment tous ses personnages. Pour développer cette question, elle s’appuie sur une histoire traditionnelle coréenne, qu’elle a lue, petite, sous forme de fable. Le récit original, Sugungga, dont l’archétype remonte au XIIe siècle, est toujours chanté et narré sous forme de pansori. Une tortue, loyale à son roi dragon de la mer et chargée de lui trouver un foie pour le guérir, trompe et kidnappe un lapin et ce dernier essaie de s’enfuir en employant sa ruse. La confusion soulevée par ces animaux de la fable se reproduit dans le film. Tae-in incarne ainsi la tortue et Cho-hee, le lapin. La cinéaste laissera quelques pistes en référence à cette fable.

L’interprétation des acteurs est irréprochable, sauf quelques automatismes chez Yoo Jae-myeong (Chang-bok), que l’on reconnaît parfois dans la comédie coréenne. Mais cela reste minime par rapport à son jeu digne. Le bavardage de Yoo Jae-myeong vient équilibrer le jeu silencieux de Yoo Ah-in, tantôt comme un père, tantôt comme un grand frère. Yoo Ah-in, héros dans Burning de Lee Chang-dong, ne parle ici que par son physique et ses expressions. Toujours aventurier, cet acteur a convaincu la réalisatrice de sa capacité à interpréter le personnage de Tae-in et a alors décidé de prendre du poids. Il nous offre le plaisir de décrypter son langage physique quelque peu imposant. Quant à Moon Seung-ah (Cho-hee), une autre actrice prometteuse dans le cinéma coréen dans lequel on peut découvrir de nombreux enfants de talent, son jeu profond et mûr suffit à égaler ses deux aînés, et nous amène à plonger dans le film sans aucune difficulté. Il est indéniable que son travail a été un élément déterminant de la réussite du film.

Ce rôle de Cho-hee est d’ailleurs très important à plusieurs égards. En créant ce personnage, la cinéaste défie l’image souvent réductrice et superficielle des enfants. Elle fait partie des cinéastes qui excellent dans la représentation à l’écran des fillettes en exploitant leur monde intérieur complexe comme on a pu les voir chez Yoon Ga-eun, Kim Bo-ra ou Yoon Dan-bi, participante au FFCP de cette année avec Moving On. Cho-hee incarne ici la civilisation et la socialisation à l’égard de l’animalité de Tae-in. Elle servira aussi à renverser le syndrome de Stockholm à la fin du film.

Hong Eui-jeong réussit à prouver sa grande habileté dans ce premier long-métrage, Voice of Silence. La question existentielle face à laquelle on ne sait vers qui porter notre empathie, s’imprégnera doucement sur notre dos comme les rayons du crépuscule du film.

Hémi Sujin Kim

Voice of Silence de Hong Eui-jeong. Corée du Sud. 2020. Projeté au FFCP 2021