VIDEO – Demon of the Lute de Tang Tak-cheung

Posté le 27 octobre 2021 par

Parmi la floppée de wu xia pian à effets spéciaux qui ont été forgés à la Shaw Brothers au début des années 1980, le plus flamboyant, réjouissant, libéré, demeure sans aucun doute Demon of the Lute de Tang Tak-cheung. Ce délicieux film d’arts martiaux est disponible en vidéo chez Spectrum Films.

Un démon sévissant par l’action d’un luth magique a réapparu dans le monde des arts martiaux. Pour le contrer, Hsiao Feng-ling est chargé de mettre la main sur un arc et une flèche magiques, armes surpuissantes et les seules capables de venir à bout du luth démoniaque.

Au début des années 1980, il y a eu Zu, les guerriers de la montagne magique de Tsui Hark, Buddha’s Palm, Holy Flame of the Martial World et Bastard Swordsman à la Shaw Brothers, autant de récits d’arts martiaux fantastiques à la colorimétrie vive et sophistiquée. Demon of the Lute, première réalisation du chorégraphe vétéran de la Shaw Brothers Tang Tak-cheung, parvient à reproduire la folie furieuse de ces travaux en concentré.

Dans Demon of the Lute, le spectateur est placé à hauteur d’enfant. Il est question d’une quête, et de vaincre des méchants caricaturaux, le tout dans un mélange de références picturales à des franchises à succès. Cet état de fait n’est pourtant pas un frein à l’appréciation du film, en tant qu’adulte des années 2020. En réalité, Demon of the Lute hérite plus des idées de mise en scène de Buddha’s Palm (la matrice du genre) et d’une longue décennie d’affutage des techniques de réalisation des films d’action à Hong Hong. Avant Demon of the Lute, Bruce Lee, Chang Cheh et Liu Chia-liang ont apposé le théorème du film d’action hongkongais, dans le kung fu pian comme le wu xia pian, défini par un montage frénétique et un savoir-faire en matière de cascades et de trucages. Demon of the Lute y appose son sens de l’heroic fantasy chinoise, le xian xia pian, et en déchaîne les composantes : jamais nous ne prendrons autant se plaisir à voir les vilains défiler, avec leur chevelure improbable et leurs armes inconcevables, à valser, tournoyer, se mettre des coups dans la tronche… Les acteurs sous le masque s’en donne à cœur joie, à grand coup de rires sardoniques, et la petite équipe de héros, bien n’ayant pas l’aura des vedettes de ce début des années 1980, se révèle charmante.

La direction artistique de Demon of the Lute est capitale. Chaque étape du scénario est un prétexte pour entrevoir l’imagination débordante qui irrigue le film d’un point de vue visuel. Demon of the Lute, malgré son échec à l’époque, a eu la chance de capitaliser sur les décors de la Shaw Brothers à Clear Water Bay. Bien que réutilisés de films en films, la mise en scène de Tang Tak-cheung a su les intégrer de la meilleure manière, et notamment à travers des jeux de lumière et de fumée qui donnent des formes et des couleurs surprenantes au film. Nous évoquions précédemment, dans Holy Flame of the Martial World, le parallèle entre la mise en scène artisanale du giallo de Mario Bava en Europe et celle du cinéma d’action de Tony Liu à Hong Kong. Demon of the Lute rappelle à certains égards La Planète des Vampires de Bava, lui aussi tout en gélatines et volutes de fumée, pour magnifier un espace vide à cause d’un budget limité. A ceci près que Demon of the Lute se révèle terriblement attachant de par l’allure des protagonistes qu’il peint, comparables aux marionnettes archétypales d’un théâtre ambulant pour la jeunesse (et que les budgets de la Shaw Brothers n’étaient probablement pas aussi serrés que ceux de Bava).

Demon of the Lute en dit beaucoup sur le rapport que nous entretenons avec les productions hongkongaises, de l’attachement particulier que nous portons au cinéma de cette petite péninsule. Loin de toute nostalgie, puisque de jeunes cinéphiles le découvre encore maintenant avec ferveur, le cinéma hongkongais, et à plus forte raison à la Shaw Brothers, est emprunt d’un certain cachet, une patte qui se manifeste donc par un sens du montage de qualité et une évocation de la Chine tout à fait singulière, un espace de fantaisie totale, où se mêlent héros solitaires et hordes de guerriers tantôt truculents tantôt hautement charismatiques, drapés dans des tenues de princes et princesses. Lorsque vient se greffer l’humour cantonais – dont il faudrait bien plus souvent parler ! -, nous assistons à des moments mémorables de cartoons, qui ne dénotent même pas avec le point précédent. Le film de Tang Tak-cheung résume presque à lui tout seul tout cela, dans un concentré de 1h40 de pur délire et de combats martiaux. D’ailleurs, Tang Tak-cheung parvient à ne jamais franchir la limite de trop en faire, erreur dans laquelle il aurait pu facilement tomber et faire de son film un nanar. Au lieu de cela, nous avons face à nous, disons-le, un petit chef-d’œuvre.

Bonus de Spectrum Films (disque 2 du combo)

Nota : les images de Demon of the Lute se font rares sur Internet. Nous avons illustré cet article avec les meilleures trouvées, mais le master de Spectrum Films est tout à fait excellent, à des lieux de la qualité de celles-ci.

Présentation d’Arnaud Lanuque (14 minutes). Arnaud Lanuque rentre dans le détail de ces productions xian xia pian des années 1980 à la Shaw Brothers avec un apport d’informations considérable concernant le long tournage de Demon of the Lute, ses nombreuses inspirations de la pop-culture en vogue à cette époque (notamment japonaise), les raisons de son échec commercial et la carrière de chorégraphe et de réalisateur de Tang Tak-cheung. Il enchaîne avec les qualités qui demeurent de ce film enfantin et tout feu tout flamme.

Le déclin de la Shaw Brothers par Arnaud Lanuque, 2ème partie (15 minutes). Arnaud Lanuque poursuit son explication du déclin de la Shaw Brothers en mentionnant les vétérans de la Shaw et leur déconnexion des goûts du public, le rôle de la productrice Mona Fong, décriée à cette époque mais qu’il faudrait réhabiliter au moins partiellement et les dernières productions sporadiques de la Shaw. Avec ce document en 2 parties, nous avons une bonne vue sur l’histoire de Shaw et ce que cette compagnie légendaire a traversé.

Portrait de Mona Fong par Zoe Baxter (28 minutes). Zoe Baxter évoque par un format radiophonique la carrière professionnelle et la vie personnelle de Mona Fong, la productrice légendaire de la Shaw Brothers et amante de Run Run Shaw. Elle a joué un grand rôle dans la fabrication des films de la compagnie de la fin des années 1970 et du début des années 1980. Zoe Baxter expose de manière tranquille, façon émission de la nuit, les grands faits marquants de sa vie, notamment sa carrière de chanteuse dans les années 1950. Fournie en informations, avec un art du storytelling, l’émission se révèle particulièrement riche et agréable, d’autant qu’elle se voit entrecoupée de morceaux chantés par Mona Fong et d’images des films de la Shaw que Mona Fong a produit.

Interview de Chin Siu-ho par Frédéric Ambroisine (archive de 2003, 20 minutes). S’entretenir avec une vedette de Hong Kong est toujours l’occasion d’en connaître un peu plus sur ce « petit » monde et notamment les liens entre les différents protagonistes. L’interprète du héros de Demon of the Lute déclare avoir été influencé par Chang Cheh dans les tournages de ses films auxquels il a participé ; il dit devoir beaucoup également à Sammo Hung. La collaboration qu’il a faite sur Mr. Vampire avec Lam Ching-ying rappelle une chose, beaucoup de ces personnalités de la deuxième moitié du XXème ont un dénominateur commun : Bruce Lee. Sammo Hung et Lam Ching-ying ont été chorégraphes sur les films du Petit Dragon.

Maxime Bauer.

Demon of the Lute de Tang Tak-cheung. Hong Kong. 1983. Disponible dans le Blu-ray double Holy Flame of the Martial World/Demon of the Lute chez Spectrum Films le 01/10/2021.

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