Bien que le cinéma de Hong Kong ne soit pas l’un des plus étudiés par nos académiciens francophones, l’exposition croissante des films d’action et d’arts martiaux de cette zone géographique dans le monde occidental, entre autres, depuis les années 1980-1990, a fait fleurir bon nombre de réflexions à son égard, et maturer toute une génération de cinéphiles ayant grandi avec au passage. Marvin Montes est de ces derniers, explorateur des vidéoclubs à leur âge d’or, et rend hommage aux films de l’ex-péninsule britannique en leur consacrant l’ouvrage Hong Kong : Le sabre, le poing et le fusil, qui paraît aujourd’hui aux éditions Aardvark.
Marvin Montes l’annonce d’emblée : il n’est ni enseignant-chercheur, ni spécialiste agréé du cinéma de Hong Kong. Comme le lecteur l’est sûrement, il se positionne en tant que cinéphile dont la passion invétérée pour les films de sa jeunesse a fait mûrir l’idée d’y dédier un ouvrage. C’est sous la bonne étoile des éditions Aardvark, qui ont déjà édité Kaiju, Envahisseurs & Apocalypse : L’Âge d’or de la science-fiction japonaise (2020) de Fabien Mauro, que se concrétise et voit le jour Hong Kong Action : Le sabre, le poing et le fusil. L’ambition n’est cependant pas moindre : dresser le portrait de 50 ans d’un cinéma instable, imprévisible et bouillonnant, tantôt industriel, tantôt de niche, qui rayonne partout dans le monde sinophone, asiatique et même mondial.
Afin d’au mieux s’adresser aux publics cibles, constitués d’autant de néophytes que de lecteurs plus pointus, le livre prend une direction chronologique en ordonnant les grands genres, thèmes et motifs du cinéma hongkongais, de l’explosion des années 1960-1970 à nos jours, en prenant garde, en introduction, de revenir sur les origines du dispositif cinématographique dans la colonie britannique (sans tomber dans le piège d’une construction générationnelle et immuable comme on le voit trop souvent en Chine continentale). De ce fait s’articulent dans le chapitrage les parties sur le wu xia pian, le kung-fu pian, la kung-fu comédie, la nouvelle vague hongkongaise, le polar HK, l’action à l’approche, pendant et après la rétrocession, et enfin l’appel de l’Ouest concernant la migration des artistes à Hollywood et l’héritage de ces derniers après le déclin de l’industrie locale.
Une chose est sûre : cet ouvrage est suffisamment ludique pour attirer l’apprenti, et honnêtement minutieux pour rassurer le maître. En effet, l’équilibre trouvé entre le travail de synthèse des grandes sources bibliographiques et l’exploration de pensées, dirons-nous moins convenues, lui confère une régularité du propos remarquable. Les approches de chercheurs reconnus comme Stephen Teo, et son Hong Kong Cinema: The Extra Dimensions (1997), ou David Bordwell, et son Planet Hong Kong (2000), ne sont donc pas tant résumées qu’elles ne sont actualisées aux regards d’aujourd’hui, bénéficiant d’une prise de recul certaine sur divers concepts de genres, de paradigmes et d’esthétiques. Rien que le chapitre sur le wu xia pian contient à la fois les origines, courants et prérequis codifiés du genre littéraire et cinématographique, ainsi que les figures tutélaires et motifs principaux tels que le jiang hu, le wu lin, le wire fu, ou encore les différentes interprétations à l’écran de la chevalerie chinoise ; en marge de ses évolutions dans le temps, du renouveau de Chang Cheh sous l’égide de la Shaw Brothers à la verticalité des combats côté King Hu, et son wu shu qi gong (l’envol dans les airs), sans oublier le penchant féminin autrefois valorisé dans ce cinéma (avec des actrices martiales de légende telles que Cheng Pei-pei). Conformément aux variations logiques mais profondément ancrées dans l’histoire tumultueuse de Hong Kong, Marvin Montes structure le reste des chapitres avec une habileté notable, confrontant à l’issue, par exemple, la physicalité des chorégraphies de films de kung-fu et plus globalement d’arts martiaux à celle des gunfights (ou heroic bloodshed) de Patrick Tam, de John Woo, de Tsui Hark ou de Johnnie To, comme on peut le lire chez Arnaud Lanuque dans Police vs Syndicats du crime : Les polars et films de triades dans le cinéma de Hong Kong (2017).
Si l’on prend du plaisir à la lecture, en vue des informations complètes, c’est aussi parce que la ligne éditoriale et l’identité artistique de l’édition d’Aardvark sont fortement estimables. L’ouvrage est illustré, digeste et accessible, et se prête à l’exercice de proposer à chaque fin de chapitre une ou plusieurs critiques de films, détachés (ou non) du corpus, en lien avec le thème défini. Une mise en application pertinente des idées déployées, que viennent également ponctuer les courtes watchlists de films en fin de parties (qui rappellent encore une fois la direction stylistique du livre d’Arnaud Lanuque cité plus haut, mais sans les interviews de personnes du métier). Tout est là pour accompagner le lecteur et lui proposer une expérience de découverte au-delà des lignes, où l’on se surprend à dégoter les bonnes vieilles éditions de films essentiels de la Shaw chez Wild Side ou les collectors façonnés par HK Video. Nous pouvons cependant regretter, au sein du corps rédactionnel, l’absence d’approches stimulantes et philosophiques sur les configurations du réel, du temps, du mouvement, de l’espace, du réalisme ou de l’imaginaire dans le cinéma de Hong Kong (façon Antoine Coppola ou Raymond Delambre), au profit de notions plus concrètes, si tant est que l’on puisse considérer cela comme un manquement.
Finalement, Marvin Montes n’enfonce pas des portes ouvertes avec son premier livre. Il fait preuve d’autant de rigueur que de communication passionnée (intention à ne surtout pas dévaluer), et trouve aisément sa place dans le champ des recherches sur le cinéma d’action de l’ex-colonie britannique. Hong Kong Action : Le sabre, le poing et le fusil est disponible aux éditions Aardvark le 14/09/2021 : à placer entre toutes les mains pour la postérité.
Richard Guerry.
Hong Kong Action : Le sabre, le poing et le fusil de Marvin Montes. 2021. Editions Aardvark. Disponible de 14/09/2021.