Après plus de quinze ans de nombreux chefs-d’œuvre, en format séries (Ping Pong The Animation, Devilman Crybaby, The Tatami Galaxy) et au cinéma (Mindgame, Night is Short, Walk on Girl, Lou et l’île aux sirènes), Yuasa Masaaki n’a plus grand chose à prouver. Avec Ride Your Wave, il entérine sa patte à travers une romance entre deux jeunes adultes colorée, parsemée d’envolées graphiques, les plus belles que le cinéma d’animation japonaise peut offrir.
Hinako est étudiante à l’université et s’installe dans une ville balnéaire pour exercer sa plus grande passion : le surf. Du haut du toit de la caserne, le pompier Minato l’observe, amoureux d’elle. Lors d’un accident de feux d’artifices qui incendie l’immeuble d’Hinako, Minato sauve la jeune femme. Ils se mettent alors en couple et vivent des jours heureux. Mais Minato part un jour s’entrainer à la planche seul en mer, en pleine tempête et n’en revient pas. Hinako est effondrée. Cependant, lorsqu’elle chantonne leur chanson près d’un point d’eau, Minato, apparaît en esprit aquatique !
Ride Your Wave ne s’encombre pas d’interrogations quant à la pudeur des émotions ou la mièvrerie : Hinako et Minato s’aiment intensément et la narration veut le montrer tel un feu d’artficice, un ballet de rosaces, à l’image des nombreuses couleurs vives qui habitent l’oeuvre. À cet égard, Ride Your Wave est une histoire d’amour moderne, bien loin des clichés sur la distance relationnelle que l’on prête aux Japonais. Les deux protagonistes principaux sont d’ailleurs égaux en amour comme rarement : si notre pompier n’hésite pas à montrer son intérêt à la surfeuse, en soi une démarche de séduction classique avec un départ du pole masculin, l’intrigue nous apprend que le sauvetage de Hinako pendant l’incendie n’est qu’une belle réponse à un acte de bravoure qu’Hinako a effectué pendant son enfance. Ainsi, le sens d’une relation pure et éclatante est établi, car il ne s’agit pas du béguin d’un garçon viril et héroïque envers une fille qu’il observe de loin, mais celui d’un jeune homme tombé amoureux en rapport à son comportement à elle, et faisant un point d’honneur à demeurer digne d’elle. En iconoclaste, Yuasa innove même graphiquement la romance : la façon dont les deux héros s’embrassent, l’animation de leur visage, est assez inédite, et particulièrement charnelle. Ce progressisme arrivé à maturité dans l’écriture et l’exécution, Yuasa l’a pensé dans ses œuvres précédentes, particulièrement dans les séries animées, et y compris celles adaptées d’auteurs à forte personnalité. The Tatami Galaxy ne fait que nous narrer l’échec masculin du point de vue d’un étudiant avec une telle insistance qu’il a pu déstabiliser les spectateurs face au comportement du héros. Ping Pong The Animation est extrêmement fidèle à l’œuvre de Matsumoto Taiyou, un manga dépouillé de toute romance justement, pour mieux pénétrer la psyché de jeunes garçons à forte personnalité qui cherchent un sens à leur vie. De ce travail, Yuasa s’est contenté de lui offrir sa maestria en réalisation et a ainsi pu se laisser imprégner du matériau de base. Quant à Devilman Crybaby, Yuasa a su capter les éléments les plus progressistes du manga de Nagai Go, à savoir la liberté sexuelle, tout en retirant les autres propos outranciers. Travailler sur ces séries lui a permis de réfléchir à comment narrer une interaction sociale (amoureuse) autrement, à l’image des personnalités alternatives à l’origine de ces œuvres, romanciers, illustrateurs et mangakas. En ce sens, Ride Your Wave est un aboutissement dans la carrière de Yuasa, là où ses précédents films demeuraient des expérimentations.
De cette romance à la base solide, Yuasa avance vers quelque chose de plus grave, celui du deuil de l’amour d’une vie. Si la phase romantique du récit est particulièrement novatrice, Ride Your Wave ne se contente pas de ce cadre et s’octroie de nouvelles voies à explorer. Par le pitch très malin du film, la possibilité de continuer à aimer un disparu est offerte un long moment, ce qui apporte au versant tragique de Ride Your Wave toutes ses qualités, toute sa complexité. En cela, les personnages de l’ami pompier et de la sœur de Minato se révèle écrits fort à propos et permettent à la situation finale de l’intrigue une forme de perfection. Ride Your Wave déroule son large propos sur les interactions sociales, met en valeur son héroïne d’un point de vue psychologique et la laisse à son devenir, sans aucune forme de pression que seraient les gimmicks habituels du genre romantique.
La force de Yuasa a toujours résidé dans l’animation éclatante qu’il propose. Et Ride Your Wave en est un échantillon majestueux, dans lequel les cheveux oranges de Hinako font face-à-face au bleu profond de la mer, pour mieux s’assembler. L’animation des séquences aquatiques est sans défaut, pleine de personnalité et de détails. Si on peut remarquer que les blockbusters se terminent toujours par une séquence en CGI mégalomane, l’animation japonaise à tendance fantasy récupère ce motif pour en mettre plein la vue des spectateur, dans une scène dans laquelle les héros volent, tombent du haut ou sont confrontés aux éléments. Un incendie permet ici à Minato d’invoquer l’eau dans une séquence dramatique et montre les protagonistes du film surfer comme jamais.
Maxime Bauer.
Ride Your Wave de Yuasa Masaaki. Japon. 2019. En salles le 01/09/2021