VIDEO – My Heart is that Eternal Rose de Patrick Tam

Posté le 13 août 2021 par

Spectrum Films sort en Combo DVD/Blu-Ray My Heart is that Eternal Rose, un des sommets méconnus de Patrick Tam, qui fait muer le polar héroïque à la John Woo vers une veine plus romantique.

My Heart Is That Eternal Rose est un beau film dont l’échec signera malheureusement le retrait de la réalisation pour Patrick Tam qui ne repassera derrière la caméra qu’en 2007 pour After This Our Exile. Patrick Tam se frotte ici au polar héroïque alors en vogue à Hong Kong et plus spécifiquement la veine très mélodramatique de John Woo. Il se déleste cependant de l’action hypertrophiée de ce dernier ainsi que de son emphase dramatique naïve et surannée. On retrouve en fait un peu l’idée de Nomad (1981) avec un groupe de personnage en quête d’ailleurs mais empêchés d’échapper à leur condition, à leur mal-être. Quand cela semblait plus existentiel dans Nomad, c’est le poids du passé qui constitue ici une chape de plomb condamnée à se transmettre. Le passé criminel de son père et une mission ratée va ainsi briser la vie de la jeune Lap (Joey Wong), forcée à devenir la maîtresse du boss mafieux Shen (Chan Wai-man), et à voir son fiancée Rick (Kenny Bee) s’exiler pour sauver les apparences. Quelques années plus tard, elle n’est qu’un joli trophée qu’expose Shen et vit dans le souvenir de Rick. Ce passé a donc dévié le destin des personnages, les emprisonnant dans ce monde du crime puisque Rick est devenu à son tour un redoutable tueur à gage. Les retrouvailles et explications entre Rick et Lap pourraient cependant leur faire renouer avec une existence paisible, mais leur environnement va constamment les rattraper.

Si la trame est relativement classique, le traitement de Patrick Tam fait échapper le film au commun des polars hongkongais. On retrouve quelques éléments classiques notamment dans les scènes d’actions qui cèdent parfois aux fusillades au ralenti, mais pour l’essentiel la violence est sèche, brutale et douloureuse (voir l’assassinat en plein jour commis sans fioritures par Rick). La première partie du film est celle de l’innocence et du paradis perdu où l’image retrouve les accents ouatés, diaphanes et papier glacé de Nomad. Lorsque les personnages s’avèrent désormais avilis par leurs expériences, la magnifique photo de Christopher Doyle tisse un écrin stylisé, tout en jeu de lumière bariolé et opaque, jouant sur l’urbanité hongkongaise pour les extérieurs et l’artificialité des espaces hédonistes (boîte de nuit, bar, restaurant) pour les intérieurs. Les respirations naturalistes et synonymes d’espoir entrecoupent cependant ce climat oppressant, notamment le motif de la mer et du bateau (une fois de plus comme dans Nomad), possible passeport pour un ailleurs plus clément. Les lieux ont d’ailleurs souvent une fonction double, la corniche de bateau signifiera la séparation initiale puis le vrai départ du couple, le lieu du crime qui les séparent en début de film sera celui où ils trouveront refuge bien plus tard, et enfin le restaurant du père voit leurs jeux amoureux innocents avant d’en illustrer ensuite la nostalgie – et le fossé qui les séparent puisque tous deux s’y rendent sans se croiser.

My heart is that eternal rose

Le personnage de Cheung (Tony Leung Chiu-wai parfait de candeur juvénile), jeune homme de main mafieux, est à la croisée des chemins de la bascule morale du couple Lap/Rick. C’est un amoureux transi et un observateur impuissant du drame en marche, mais qui parviendra à maintenir son innocence et son sens moral quand ses aînés n’en auront pas eu le choix. Tony Leung Chiu-wai est excellent et offre une prestation toute en nuance pour un personnage attachant qui écarte le film de la seule dynamique d’action et de drame, pour ce qui est aussi un récit d’espoir et de rédemption. Les méchants sont nettement moins subtils (même si sous la cruauté de Shen, on devine l’amant meurtri mais qui ne sait l’exprimer que par la violence du gangster) et en particulier un Gordon Liu (affublé d’une perruque avant de retrouver son crâne rasé) loin de la noblesse de ses rôles martiaux et ici en homme de main sacrément pervers. My Heart Is That Eternal Rose emprunte au film de triade et au polar d’action sans tout à fait en être un, et trouve sa force dans cet entre-deux, même si ce sera sans doute une des raisons de son échec commercial et du retrait de Patrick Tam (qui officiera néanmoins en tant que monteur notamment pour son poulain Wong Kar-wai sur Nos années sauvages (1990) et Les Cendres du temps (1994)).

My heart is that eternal rose

Bonus : Présentation (16 mn) de Arnaud Lanuque spécialiste du cinéma hongkongais et habitué des éditions Spectrum. Il évoque le parcours de Patrick Tam et sa place majeure dans la Nouvelle Vague hongkongaise. Féru de philosophie et de culture occidentale, c’est un vrai auteur qui ne trouve pas sa place dans le cinéma commercial hongkongais des années 80, ce qui nuira à sa carrière. Arnaud Lanuque évoque son parcours durant cette période où il est constamment en conflit avec ses producteurs malgré des réussites indéniables comme The Sword, Burning Snow ou Nomad. Arnaud Lanuque place donc My Heart is that Eternal Rose dans ce contexte où le film arrive alors que le genre du polar héroïque fait sa mue des thèmes d’amitié virile vers une veine plus romantique. Le critique dépeint néanmoins les motifs formels et thématiques qui en font un film tout à fait personnel de Patrick Tam.

Un interview audio (31 mn) de Patrick Tam mené par Arnaud Lanuque. Il y parle de ses débuts à la télévision, de sa place au sein de la Nouvelle Vague hongkongaise et de son opinion mesurée sur l’impact du mouvement. Il est plus attaché à une dimension théorique et philosophique et explique sa manière par le style et la forme qu’il injecte dans ses films, qui s’oppose parfois aux impératifs commerciaux. Il développera par la suite plus spécifiquement cette approche dans My Heart is that Eternal Rose, à travers les personnages et de larges séquences du film à l’appui. La franchise du réalisateur est appréciable, notamment la contrainte d’engager la pop star Kenny Bee dont il reste insatisfait de la prestation.

Un interview (29 mn) du producteur John Shum qui parle de ses débuts dans le métier et de la fondation de sa compagnie D&B, place importante du cinéma hongkongais des années 80. C’est très intéressant dans la description du marché local d’alors, les compagnies émergentes, les stars montantes et les genres en vogue. Sa manière de se démarquer sera de faire des films à cheval entre les exigences commerciales et des œuvres plus profondes, avec plus de substance comme les premières réalisations de Sylvia Chang, Derek Yee… Il évoque alors dans cette volonté ses deux collaborations avec Patrick Tam dont My Heart is that Eternal Rose. Il dédouane ce dernier de sa réputation « difficile » et le plaisir de travailler avec lui malgré l’échec du film.

Un documentaire (50 mn) de Yves Montmayeur consacré à Christopher Doyle datant de 2007. On accompagne sur une année, entre Cannes, Hong Kong, Londres ou New York le chef opérateur dans son quotidien sinueux. Personnalité excentrique, imprévisible et talentueuse, nous le suivons sur quelques lieux emblématiques de films sur lesquels il a travaillé (In the Mood for Love surtout), anecdotes à l’appui. On capture ainsi son rapport au monde, sa manière de saisir l’énergie de Hong Kong, le tout agrémenté de prestigieux intervenant comme Wong Kar-wai, Olivier Assayas, Gus Van Sant

Un essai vidéo (29 mn), L’Impossible échappée, bon complément des autres bonus, avec une vraie analyse filmique mettant en lumière tout le travail visuel pour véhiculer l’émotion. Cadrages, compositions de plans, les longs extraits participent à travers le commentaire à mieux saisir les partis pris de Patrick Tam.

Justin Kwedi.

My Heart is that Eternal Rose de Patrick Tam. Hong Kong. 1989. Disponible en Combo DVD/Blu-ray chez Spectrum Films en juin 2021.

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