ARTE – La Mélodie du malheur de Miike Takashi

Posté le 11 août 2021 par

La chaîne de télévision franco-allemande ARTE nous propose un cycle du cinéma japonais, dans lequel nous retrouvons La Mélodie du malheur, l’un des films les plus légers du réalisateur culte Miike Takashi.

La Mélodie du malheur est librement adaptée du (très bon) film sud-coréen The Quiet Family qui met en scène, dans l’un de leurs premiers rôles au cinéma, les acteurs devenus incontournables Choi Min-sik (Old Boy, Lady Vengeance) et Song Kang-ho (JSA, Memories of Murder, Snowpiercer…). Premier film de Kim Jee-woon, à qui nous devons, entre autres, Deux sœurs ou encore J’ai rencontré le diable, The Quiet Family posait les bases des affinités du réalisateur avec les histoires cruelles mais se révélait plus comique et loufoque que la suite de sa filmographie. Ce mélange de noirceur et de fantaisie en font un film se prêtant parfaitement à un remake de Miike, celui-ci excellant dans le mélange des tons et le jusqu’au-boutisme. Le scénario initial reste d’ailleurs sensiblement le même entre les deux versions ; un père de famille investit dans une petite auberge à la campagne et par des contingences hasardeuses, ses premiers clients décèdent les uns après les autres, qu’il s’agisse de suicides ou d’accidents. Ils ne peuvent prévenir la police, sous peine de voir fermer leur établissement après seulement quelques jours d’activité, et décident alors de dissimuler les corps.

Avec La Mélodie du malheur, comme à son habitude, Miike propose un remake à sa sauce, bien plus déjanté que l’œuvre originale. Juste après avoir proposé sa version fantasque et grandiloquente du manga de Yamamoto Hideo, Ichi the Killer, il transforme la même année la comédie noire de Kim Jee-woon en comédie musicale surréaliste, dans laquelle il incorpore des scènes en stop-motion ou des karaokés à destination du public. Tant sur le plan du visuel que du scénario, Miike multiplie les prises de risque et les expérimentations pour proposer un film très conceptuel et survolté. Le film évoque les comédies musicales des années 50 avec des séquences de chansons où le décor s’adapte et se métamorphose au gré de ce qui est exprimé, faisant fi de toute notion de réalisme ou de naturalisme. La Mélodie du malheur se veut davantage un film sensoriel et philosophique que The Quiet Family et Miike se débarrasse des situations sinueuses du scénario de son modèle pour se focaliser sur la mise en scène d’émotions et de spectacle quasi-théâtral. Quand The Quiet Family optait pour une montée en puissance progressive des enjeux dramatiques pour la famille face aux accidents morbides avec, en présence, de nombreuses morts de clients successives et similaires, La Mélodie du malheur ne cesse de rebondir, de changer de ton et de se renouveler.

Le film entier fait écho au monologue de Yurie, la petite fille de la famille d’hôtes qui explique que « dans une famille, tout le monde est différent, chacun a ses rêves, ses problèmes et ses désirs ». Miike explore ses personnages et leurs relations entre eux tout autant qu’il s’attache à faire avancer le scénario et se permet des digressions sur leur passé, leur vie et leurs envies. Là où Kim Jee-woon ébauchait un personnage de client assez pathétique et dangereux qui s’éprenait pour la jeune fille des hôtes par exemple, Miike improvise une relation amoureuse chaotique entre l’équivalent du personnage féminin dans son film et un escroc prétendant être le neveu de la reine d’Angleterre.

Néanmoins, de tous les changements opérés par Miike, le plus frappant demeure celui de l’ambiance générale du film mais surtout celle dans laquele baigne la famille d’hôtes. Kim Jee-woon s’appliquait à montrer une famille dysfonctionnelle qui pâtit encore davantage des éléments extérieurs qui s’acharnent sur l’auberge tandis que Miike s’attache particulièrement à montrer la force et la pureté des liens qui unit ses personnages. Bien évidemment, nous n’échappons pas à quelques conflits mais le mot d’ordre de la famille Katakuri semble être l’union et la solidarité sans limites face à l’adversité. Cet aspect, en prime d’ajouter encore un élément féerique à son conte musical, transforme également l’impression générale que laisse le film par rapport à celui de Kim Jee-woon ainsi que sur son apparente morale. Miike adoucit l’histoire de Kim Jee-woon mais ne perd pas son ambiguïté caractéristique pour autant. La farandole de désillusions par laquelle passe la famille Katakuri prend une dimension tragique décuplée lorsque les personnages continuent de courir après des mirages et tentent de bâtir des châteaux en Espagne. La séquence de stop-motion à priori sans lien avec le contenu du film du début du long-métrage, qui montre en version simplifiée et cruelle le cycle de la vie, prend tout son sens dans le reste de l’intrigue. On réalise alors que les Katakuri sont prisonniers de phénomènes cycliques qui menacent leur bonheur mais également que leur réaction à ces évènements est elle aussi similaire. Dès lors que les évènements deviennent de plus en plus sérieux et sinistres, le cycle s’emballe jusqu’à l’apocalyptique. Quand on touche finalement au bonheur idéal et luxuriant en toute dernière séquence, Miike souligne le caractère illusoire de cette happy end en mettant en scène un paradis volontairement exagéré en carton-pâte. Avec La Mélodie du malheur, Miike rompt avec son habitude de montrer des situations sombres et cruelles (le film est tout de même sorti la même année que Ichi the Killer mais aussi Visitor Q) et inverse ses procédés habituels pour se servir de la surenchère joyeuse comme élément révélateur de l’enfermement de ses personnages.

La Mélodie du malheur aboutit donc sur une œuvre estampillée Miike en tous points dans laquelle on retrouve les points forts du cinéaste, depuis sa gestion virtuose du « too-much » jusqu’à l’ambiguïté de ses conclusions. En prime, de par sa facilité d’accès en terme d’ambiance et le choix du réalisateur habituellement flirtant avec le gore de rester très sage dans la mise en scène des morts et des cadavres, il peut être une très bonne porte d’entrée dans sa filmographie. Les amateurs du cinéma de Miike, quant à eux, ne devraient pas passer à côté de la pépite colorée et inventive qu’est La Mélodie du malheur tant le film propose une variation sur les thèmes de prédilection du réalisateur.

Elie Gardel. 

La Mélodie du malheur de Miike Takashi. Japon. 2001. Disponible sur le site ARTE

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