EN SALLES – Le Festin chinois de Tsui Hark

Posté le 22 juillet 2021 par

En 1998, le public français pouvait découvrir au cinéma Le Festin chinois de Tsui Hark. Pour notre plus grand bonheur, le film ressort en salles cette semaine !

Refusant d’intégrer la pègre locale, un jeune homme tente de devenir chef cuisinier. Maladroit, il ne parvient pas à se qualifier à un concours. Il termine larbin dans un petit restaurant, dont le patron embauche aussi sa propre fille, une excentrique aux cheveux rouges. Le patron accepte le défi d’un autre chef, excellent mais rapace, attiré par son affaire. Ils devront se livrer à un duel de cuisine en reproduisant le fameux banquet des Mandchous. Abandonné par ses collaborateurs, le patron envoie à Canton sa fille et notre héros quérir l’aide d’un chef cuisinier déchu, l’ancien plus grand chef du monde…

En 1995, Tsui Hark et l’industrie du cinéma hongkongais sont à l’apogée. Depuis quelques années fleurit une tradition, celle du film du nouvel an, promue par Raymond Wong. Entre le producteur qui a éprouvé sa recette et le réalisateur qui enchaîne les chefs-d’œuvre depuis le début de la décennie, une entente s’installe sur la teneur du film qui sied aussi bien aux aspirations artistiques de Tsui que la volonté de créer une nouvelle œuvre grand public pour Wong. Tsui insiste : le film du nouvel an doit avoir un ton positif, car cela augure une année débutée dans la bonne humeur pour les Chinois. Lui, qui est un fin gourmet, laisse s’exprimer tout son talent de conteur fantasque dans Le Festin chinois, comédie dans laquelle les duels culinaires sont apparentés à des affrontements martiaux. Des vernis romantiques et cartoonesques viennent se greffer pour aboutir à un long-métrage d’une grande générosité.

Le Festin chinois peut d’abord compter sur son quatuor d’acteurs hauts en couleurs. Leslie Cheung laisse libre cours à son charme naturel pour composer un prince maladroit, qui navigue entre le milieu des mauvais garçons et celui du jeune travailleur paumé. Son regard plein de chaleur perce derrière ses lunettes de soleil rondes. Anita Yuen est une partenaire de choix et met le feu au métrage, par son excentricité extrême. Ses cheveux rouges fusionnent avec la plastique générale du film, qui fait référence aux cérémonies culinaires chinoises, donc bardées d’un rouge vif à tous les étages. Et lorsqu’elle abandonne ses cheveux rouges, son regard et son sourire traduisent la profondeur de son jeu et l’osmose qui existe avec Leslie Cheung. Il est loin le temps où Kenny Bee était le héros romantique des comédies taïwanaises de Hou Hsiao-hsien au début des années 1980. Dans son giron, à Hong Kong, à l’ère de la fantaisie de Tsui Hark, il est aussi truculent que les autres. De chef guindé, ridiculement sérieux dans son travail, il devient une épave lubrique après avoir échoué à concilier réussite professionnelle et vie personnelle – sa chambre à Canton est recouverte d’affiches pornographiques et de poupées gonflables. Le film se plait à jouer avec son image de beau jeune premier un brin démodé, mais l’intègre parfaitement au délire généralisé, et avec beaucoup de bienveillance. Chiu Man-cheuk est l’aura la plus positive de Le Festin chinois. Son visage constamment souriant et chaleureux traverse le film et emmène les héros dans la bonne direction. À la fois jeune et haut placé, il traduit le sentiment de dynamisme du Hong Kong de 1995. La même année, il sera le sabreur manchot de Tsui Hark dans The Blade, une toute autre histoire…

La narration est articulée autour de séquences-clés, des scènes culinaires qui montrent la maîtrise de Tsui Hark en matière de mise en scène. Sa société, la Film Workshop, n’aura jamais aussi bien porté son nom, tant la valorisation des plats et le montage malin relèvent de l’artisanat. Graphiquement, les plats sont plein de couleurs et de formes variées, et quiconque n’est pas avisé en matière d’effets spéciaux aura bien du mal à distinguer ceux fabriqués en véritables aliments ou ceux truqués. Une chose les réunit : ils ont tous l’air succulents et fantaisistes. À côté de cela, Tsui Hark use de gags à la portée cartoonesque avec beaucoup d’amusement, à l’image de la scène du poisson dans le premier quart, dans laquelle tout le monde s’assomme et s’accole en baignant dans le jus pour essayer de l’attraper. La longue partie finale consacrée au banquet est ancrée dans son temps, de par sa valorisation d’un concours surréaliste dans lequel un groupe de personnages bien intentionnés et fiers affrontent un individu qui a tous les défauts, est de mauvaise foi et tout aussi fier. Le cousinage avec certains shonen manga est évident, tant les cultures populaires hongkongaises et japonaises se se sont inspirées l’une et l’autre depuis l’essor des films de kung-fu et des jeux vidéo. Le plan final n’est que pure célébration de la communauté hongkongaise, loin du marasme de la rétrocession à venir.

Avec Le Festin chinois, Tsui Hark réalise un film plus majeur dans sa filmographie qu’on ne l’imagine de prime abord. Tsui Hark est presque avant tout le cinéaste de Histoires de Cannibales et de Zu, les guerriers de la montagne magique, un cinéma bariolé qui puise dans la dynamique du comic-book pour former des morceaux d’humour colorés et satyriques. Le Festin chinois possède tout cela, avec derrière lui un appareil productif solide pour permettre à Tsui d’offrir un travail d’orfèvre dans la sérénité. Les trucages n’ont pas pris une ride et la bonne humeur est toujours aussi efficace. La réponse du public est sans appel : ce sera le plus gros succès commercial de Tsui Hark au box-office hongkongais. En France, il tapera dans l’œil des distributeurs et sera sur nos écrans en 1998. Aujourd’hui encore, le film est toujours aussi apprécié des cinéphiles.

Maxime Bauer.

Le Festin chinois de Tsui Hark. Hong Kong. 1995. En salles le 21/07/2021