Chen Yu-hsun, réalisateur taïwanais affirmé à qui l’on doit les très beaux Tropical Fish (1995), Love Go Go (1997) et The Village of No Return (2017), revient cette année avec une fable romantique aux accents de merveilleux et de récit initiatique. Si les films précédemment cités s’avèrent difficiles à acquérir, My Missing Valentine est par chance sélectionné au Neuchâtel International Fantastic Film Festival (NIFFF) de 2021, occasion presque unique de découvrir la dernière pépite du réalisateur ayant tout raflé aux Golden Horse Awards de 2020.
Xiao Chi mène sa vie à un tel rythme, depuis sa plus tendre enfance, qu’elle ne parvient à se hisser au niveau des autres et à prendre le temps de chercher l’amour, tandis qu’elle s’approche de la trentaine. Son travail à la poste lui impose une routine peu fameuse jusqu’au jour où un conducteur de bus pour le moins marginal lui demande spécifiquement et quotidiennement d’envoyer une lettre. En parallèle, elle rencontre un coach sportif dans un parc de Taipei avec qui elle envisage une aventure. Mais un beau matin, alors que la Saint-Valentin arrive et qu’elle se prépare minutieusement à son premier rendez-vous, le jour de la fête des amoureux semble mystérieusement s’être déjà déroulé.
My Missing Valentine s’inscrit idéalement dans le paysage du cinéma taïwanais actuel : une romance pop entre comédie et sentiments, interprétée par des personnages maladroits et en manque de repères, qui se découvrent eux-mêmes ainsi que le monde qui les entoure et ce qu’il a à leur offrir. C’est effectivement ce qu’il advient du destin de la jeune Xiao Chi, dont le rôle est tenu avec ferveur par la pétillante Patty Lee. Son quotidien se résume au travail et à la lutte envers elle-même pour suivre le rythme de son entourage, collègues et amis, une parabole certaine (et satirique) de la société effrénée de Taïwan, dont le modèle de travail et de relations poursuit davantage celui du Japon que de la Chine ou de Hong Kong. Le film débute par une géniale séquence de l’enfance de Xiao Chi où l’on découvre sa curieuse manie à tout entreprendre beaucoup trop vite, à prévoir les réactions de ses camarades, à terminer ses travaux avant tout le monde, à s’élancer avant le coup de sifflet, ou à systématiquement cligner des yeux trop tard lorsqu’elle est prise en photo, ce qui amuse, fatigue et inquiète ses proches.
De telles intrigues et approches ont de quoi désorienter, Chen Yu-hsun ne nous laissant nous adapter à la cadence de son protagoniste, et jouant à de maintes reprises sur le montage vif et le timing (ou le non-timing) comique des situations plutôt que de laisser s’installer une certaine linéarité prévisible de la comédie. Cette même prévisibilité est mise au service du récit, puisque l’on peut prédire comme Xiao Chi les évènements à venir. Il faut donc déconstruire nos attentes, en parallèles des siennes, et le film fait appel au spectateur avec beaucoup d’intérêt dans ce processus. Peut-être les dialogues auraient-ils en revanche gagné à être plus ou moins chaotiques, de sorte à ce que l’on comprenne pleinement son train d’avance et la manière dont Xiao Chi anticipe la moindre action de son interlocuteur. Mais ce choix est excusable étant donné qu’elle apprendra avec l’expérience à profiter de l’instant présent, à prendre son temps, et à contempler son environnement direct comme lointain, là est tout le propos de ce long-métrage dans ce qu’il convoque de fantastique : la disparition soudaine de la Saint-Valentin.
Plus qu’un ressort comique, l’évaporation de la fête des amoureux dans la vie de Xiao Chi, qui s’apprêtait enfin à éventuellement trouver l’amour, la confrontera à de pathétiques et essentielles vérités, nécessaires à la dimension de conte initiatique. Le sportif dragueur et épicurien (Duncan Lai), non sans rappeler le charisme d’un Chow Yun-fat, lui tape dans les yeux, elle qui n’a aucun antécédant relationnel fort. Aussi le chauffeur de bus intrusif et maladroit (Liu Kuan-ting) tentera-t-il de toucher son cœur, et de l’éloigner du sportif à la double vie dont elle ignore tout, donnant lieu à des circonstances plus croustillantes et improbables les unes que les autres. De son côté, Xiao Chi vit dans un monde de chimères et d’illusions que Chen Yu-hsun transcrit graphiquement avec une ingéniosité surprenante, à base de décors matérialisés subjectivement selon son humeur et de scènes touchant à l’onirisme, d’une manière identique aux tribulations fantasmagoriques de la plage de Tropical Fish ou de certains films de Wes Anderson.
A l’image de son personnage, My Missing Valentine ne manque pas de maladresse, et de tomber dans certains pièges lors de sa deuxième partie au profit d’une certaine facilité d’écriture quand le concept principal demande tout le contraire pour être mené à bien. Difficile de ne pas s’égarer à la venue du chambardement narratif qui se pointe aux deux tiers, ou de ne pas ressentir un léger malaise devant les stratagèmes dont profite le chauffeur de bus afin de se rapprocher de Xiao Chi, qui subit et donne plus qu’elle ne reçoit. Mais la bienveillance de l’ensemble maquille ces défauts d’une couche de bons sentiments et de petits fragments de philosophie de vie, que la réalisation organise en un festival d’idées de mise en scène excentriques et de couleurs. D’une esthétique évoquant aussi bien le Dear Ex (2018) de Mag Hsu et Hsu Chih-yen que le Soul Mate (2016) de Derek Tsang, My Missing Valentine se déguste comme une sucrerie, se savoure comme une soupe de nouilles au bœuf au marché nocturne, se distingue par sa frivolité et sa fantaisie bouillonnantes, et s’enjolive d’une colorimétrie ayant tendance à tourner au rose pastel, le tout accordé pour le soulagement du cœur ainsi que le plaisir des yeux.
Voilà donc une formidable petite romcom taïwanaise, My Missing Valentine, que le NIFFF a amené jusqu’à nos frontières, et que l’on espère voir un jour à l’affiche ou en édition, pour peu que les précédents ouvrages de Chen Yu-hsun aient eux aussi la chance de nous parvenir. Souvent éclipsé lors des discussions sur le cinéma insulaire, il mérite toute l’attention que nous pouvons lui porter.
Richard Guerry.
My Missing Valentine de Chen Yu-hsun. Taïwan. 2020. Sélectionné au NIFFF 2021.