Depuis le 18 juin, Netflix diffuse la trilogie des premiers films de la saga Gundam. L’occasion de découvrir ce mythe de la pop culture japonaise pour les néophytes.
En l’an 0079 du Siècle Universel, la Fédération Terrienne et ses colonies se livrent une guerre sans merci. Sur Side-7, la tragédie commence pour le jeune Amuro Rei le jour où les Forces de Zéon attaquent la colonie dans le but de détruire les prototypes des premiers mobile suits (méchas) de la Fédération. C’est un peu par hasard qu’Amuro va se retrouver aux commandes du plus perfectionné d’entre eux et lutter pour sa survie et celle de ses amis. À bord du White Base, commandé par le jeune lieutenant Bright Noah, c’est le début d’une vaste odyssée à travers l’espace et la Terre…
Mobile Suit Gundam est une saga de science-fiction parmi les plus emblématiques de la pop culture japonaise. Depuis 40 ans, on n’en compte plus les suites et déclinaisons sous forme de série TV, d’OAV ou de mangas, tout en constituant une manne lucrative conséquente à travers ses multiples produits dérivés. C’est un univers qui voit le jour la fin des années 70 sous la férule du réalisateur Tomino Yoshiyuki au sein du studio Sunrise. Alors que triomphe sur les écrans les histoires de robot géants surpuissants tels que Mazinger Z ou Goldorak, Tomino développe le concept de mecha où la machine revient à sa seule dimension fonctionnelle dans un récit mettant l’accent sur le drame humain. C’est l’idée qui guide la série télévisée Mobile Suit Gundam diffusée en 1979 sur Nagoya Broadcasting Network. Malgré l’ambition, le programme ne rencontre malheureusement pas son public et se voit même écourté avec seulement 43 épisodes sur les 52 initialement prévus. La série connaît un vague regain d’intérêt au fil des rediffusions qui boostent même la vente de jouets. Il est alors décidé de relancer Gundam à travers trois films constituant un remontage de la série auquel sont ajoutés quelques scènes inédites (en particulier le troisième, vu la fin abrupte de la série).
Et là, le miracle va se produire avec un carton commercial qui relance la licence, qui sera prolongé à travers des suites directes qui poursuivent l’histoire originale et reprend ses personnages emblématiques (les séries Mobile Suit Zeta Gundam et Mobile Suit Gundam ZZ, et le film Mobile Suit Gundam : Char contre-attaque (1988)) puis des histoires parallèles, des prequels et autres déclinaisons, sous la férule de Tomino ou pas. Toujours est-il que Gundam est un phénomène culturel au Japon, qui ne trouvera la reconnaissance en Occident que bien plus tard (avec la série Gundam Seed au début des années 2000), l’autre saga spatiale mecha nippone Macross l’ayant supplanté. Dans ce premier film, le remontage de la série au long-métrage se ressent plutôt dans le bon sens, à savoir un rythme alerte qui donne le sentiment d’enchaîner sans férir les climax toujours plus haletants. Le contexte spatial et guerrier est succinctement présenté avec ce conflit opposant la Fédération terrienne au Duché de Zéon, colonie spatiale réclamant son indépendance. On ne développe pas les raisons du conflit, ni ne cherche à déterminer de façon manichéenne quel camp est le bon ou pas. Le récit développe plutôt l’impact de cette guerre sur l’humain. C’est le cas avec le héros Amuro, adolescent doué en mécanique qui, durant une attaque surprise de Zéon sur sa colonie, va par un concours de circonstances prendre les commandes d’un Mobile Suite, nouveau modèle de mecha surpuissant. Contre toute attente, il contribue à repousser les assaillants et, tous les pilotes et scientifiques aguerris ayant succombé dans l’attaque, Amuro se retrouve avec d’autres novices à traverser la galaxie à bord du White Base (nouveau vaisseau tout aussi expérimental) pourchassé par les sbires de Zéon. Parmi eux se trouve le redoutable et mystérieux Char Aznable qui va entraîner Amuro dans un féroce duel psychologique.
Tout le film (dans une construction qui préfigure L’Empire contre-attaque (1980)) n’est qu’une longue course-poursuite ponctuée de combats dantesques où, bien que laissant deviner le remontage par certaines ruptures de ton, se distillent des questionnements plus profonds. Loin des fanfarons surdoués et sans peur que l’on peut trouver dans ce genre de récit, Amuro est un héros qui doute. C’est tout d’abord la peur qui paralyse cet adolescent parachuté soldat (il est le seul à pouvoir piloter le Gundam) et écrasé par les responsabilités, puis le doute puisqu’il semble clairement que le White Base est un appât destiné à détourner l’attention de Zéon pour la Fédération terrienne. On a d’un côté le yin avec cette l’exaltation va-t-en-guerre et sacrificielle typiquement japonaise largement égratignée, mais de l’autre côté le yang où dans l’adversité, le collectif doit primer sur l’individu et ses peurs là aussi dans une logique typique de la société japonaise. L’empathie fonctionne ainsi autant lorsqu’on suit Amuro et ses compagnons pétrifiés sur le champ de bataille, que quand on les voit surmonter cela pour combattre. Tomino développe une complexité tout aussi captivante dans le camp Zéon, explicite et romanesque pour Garma Zabi qui en obtenant la gloire au combat pourra épouser la femme qu’il aime, et plus trouble avec le fascinant Char Aznable qui semble viser des desseins plus flous. L’adversaire est ainsi humanisé (les longues et tragiques scènes de funérailles finales) tout en montrant ce Duché de Zéon comme une authentique dictature. La déshumanisation semble un thème central, celle dont on souffre comme Amuro qui choque sa mère par ses nouveaux réflexes soldats, et celle dont on se délecte avec le glacial Char Aznable.
Les confrontations entre les deux personnages s’inscrivent dans cette idée. Lors des premiers combats, Amuro maîtrisant encore mal son Mobil Suit ne s’en sort que grâce aux facultés extraordinaires de sa machine mais aussi par ses réactions spontanées et instinctives qui surprennent l’ennemi. A l’inverse, Char Aznable est d’un sang-froid à toute épreuve, un tacticien insaisissable qui anticipe toutes les manœuvres. Plus le récit avance et Amuro gagne en expérience, moins cette différence se ressent, témoignant de la bascule du héros. Une réaction étrange de Char Aznable (lorsqu’il croise une femme de la Fédération terrienne qu’il semble reconnaître) peut laisser croire qu’il fera le chemin inverse, de la froideur vers l’humanité. Tomino parvient à manier avec brio toutes ces grilles de lecture tout en livrant un vrai grand spectacle. L’animation est fluide et dynamique lors des combats, les designs des mechas (qui iront en se complexifiant) et des vaisseaux sont novateurs et réellement pensés pour différencier les forces en présence. La ligne claire et l’harmonie de couleurs de la Fédération terrienne s’oppose à l’arsenal monochrome de Zéon. Le sens du gigantisme est bien ressenti (remarquable ouverture où ce que l’on prenait pour des soldats s’avère d’immenses mechas) et l’immensité spatiale émerveille. Une belle entrée en matière donc, surtout vu la fin ouverte qui donne vite envie d’enchaîner sur les deux films suivants.
Justin Kwedi.
Mobile Suit Gundam I de Tomino Yoshiyuki. Japon. 1981. Disponible sur Netflix le 18/06/2021