La fresque historique est au programme du deuxième édition du Festival du Film Kazakhstanais en France, 100% en ligne et gratuite ! La Chute d’Otrar, œuvre phare d’Ardak Amikourlov, revient sur les derniers jours de la ville d’Otrar et, par extension, la destruction de l’Empire khorezmien, musulman et turcophone, par Gengis Khan, en 1219.
La Chute d’Otrar est un film assez méconnu mais dont la reconnaissance progressive suit son cours, avec des projections régulières : Festival d’Automne à Paris en 1998, Festival des 3 Continents en 2011, Festival international des cinémas d’Asie de Vesoul en 2012… Martin Scorsese a parrainé la sortie du film aux États-Unis où les critiques ont cité, à juste titre, Serguei Paradjanov, Kurosawa Akira ou Sergio Leone pour qualifier cette fresque sur la destruction d’une ville et d’un empire – sur la fin d’une civilisation.
Le scénario de La Chute d’Otrar a été écrit dans les années 80 par le couple Svetlana Karmalita et Alexeï Guerman. Ce dernier est un réalisateur entré dans la légende du cinéma soviétique, longtemps censuré avant d’être réhabilité et porté aux nues dans les années 90. Il est d’ailleurs étonnant de découvrir La Chute d’Otrar aujourd’hui et d’y trouver des similitudes avec Il est difficile d’être un dieu, film testament de Guerman sorti en 2013, notamment dans la représentation de l’armée et des soldats dans la boue, le feu, le sang et l’urine.
La Chute d’Otrar est scindé en deux parties : « L’Éclaireur » et « la Chute d’Otrar ». Dans la première partie, Ardak Amikourlov présente les différents protagonistes et le contexte historique : au début du XIIIème siècle, une grande partie de l’Asie centrale, d’Azerbaïdjan, d’Iran, d’Afghanistan et du Kazakhstan est conquise par le gouverneur de l’Empire de Khorezm, le Shah Muhammed. Ce dernier veut être seul à régner sur le monde musulman et n’a qu’un objectif : s’emparer de Bagdad, tout en ignorant les conquêtes de l’armée mongole de Gengis Khan à l’Est. Le protagoniste Unjou, « éclaireur » de l’Empire de Khorzem, revient auprès du Shah Muhammed après sept ans passés en espion dans les rangs de l’armée de Gengis Khan. Unjou alerte le Shah sur le danger que représente Gengis Khan. Un discours jugé mensonger et fantaisiste par un Shah obnubilé par Bagdad et l’unification du monde musulman. La première partie du film, éminent politique et stratégique, montre les querelles internes des dirigeants musulmans et une guerre de pouvoir interne qui les empêchent de comprendre que les Mongols sont sur le point de les exterminer.
Dans la seconde partie du film, les Mongols sont aux portes de la ville d’Otrar tandis que les dirigeants continuent de se quereller et commettent une erreur stratégique en tuant des émissaires de Gengis Khan. La réplique de ce dernier sera fatale. La dernière heure du film (la destruction de la ville par l’armée de Gengis Khan et la déroute des musulmans) rappelle les scènes guerrières de Ran de Kurosawa Akira, notamment lorsqu’un des chefs de guerre se couvre les oreilles pour ne pas entendre les massacres et que la caméra montre les pillages en cours dans un quasi silence.
Dans leur scénario tragique, Svetlana Karmalita et Alexeï Guerman incluent des scènes poignantes. Dans une scène loin d’être anodine, l’archiviste de la ville dicte la dernière phrase de l’histoire d’Otrar : « La fin de la ville a eu lieu l’année du dragon, et nous, peuple des Kaptchaks, nous nous disons adieu. » L’archiviste décide de mourir auprès de ses parchemins tandis que son assistant s’enfuit en détruisant l’entrée de la bibliothèque… avant de se faire tuer par un soldat mongol. Mort d’un homme mais surtout destruction de la ville et fin de son histoire et de son existence, avec le perte de ses archives. Autres séquences mémorables : la rencontre finale avec Gengis Khan où le conquérant apparaît à la fois sage et monstrueux ; et la dernière scène dans laquelle le protagoniste Unjou erre avec mélancolie dans les décombres d’Otrar… une ambiance qui rappelle la fin de La Horde sauvage de Sam Peckinpah.
Le film, merveilleusement mis en scène, mélange le noir et blanc, le sépia et la couleur. Ardak Amikourlov alterne plans fixes et plans caméra épaule, au plus près des soldats. C’est sale et violent mais contrebalancé avec des scènes de prières ou de manigance politique. Quelle prouesse pour un premier long métrage ! La Chute d’Otrar : une pépite à (re)découvrir d’urgence.
Marc L’Helgoualc’h
La Chute d’Otrar d’Ardak Amikourlov. 1991. URSS. Disponible sur le site du Festival du Film Kazakhstanais en France