Wang Quan’an, révélé en 2006 par Le Mariage de Tuya et chouchou du festival de Berlin (Ours d’or en 2006, ours d’argent du meilleur scénario en 2010 pour Apart Together), revient dans les salles françaises avec La Femme des steppes, le flic et l’œuf.
Un policier sans expérience de terrain est envoyé dans les steppes. Une femme est retrouvée morte, nue. Une bergère connaissant le terrain lui vient en aide. Les plans sont larges, très larges, le terrain immense. Tout le monde s’y perd, ne sait pas quoi vraiment faire. Les premières minutes de La Femme des steppes montre des hommes perdus face à l’inconnu. Ils s’affairent autour du cadavre, gesticulent, vont et viennent. Le cadavre, lui, reste là, couvert d’une bâche blanche. Le vent souffle, on n’entend que lui.
Wang Quan’an s’empare du « film noir » d’Asie/Europe de l’Est, ces films qui mêlent enquête policière, métaphysique, absurde et un goût prononcé pour un rythme très posé. La caméra panote à gauche, à droite, prend son temps. Cela peut devenir très stéréotypé ou calibré, mais ici Wang ne tombe pas dans le piège de la pose. Il parle avec sa caméra, il raconte une histoire de deux êtres au cœur d’un désert venteux, dangereux, mais majestueux. Il décrit le parcours d’une femme, libre, forte, seule au milieu d’un désert où les loups rôdent.
Dulamjav Enkhtaivan, véritable bergère dans la vie et aussi magnétique qu’émouvante, devient petit à petit le cœur du film. Elle est la guide, celle qui sait, qui apporte du réconfort. Wang la filme comme les cinéastes américains filmaient leurs cowboys, quasi mutiques, énigmatiques, traversant les zones désertes. Elle initie sont compagnon de route à la cigarette au coin du feu, discute de la vie, de la mort, fait l’amour. Ces scènes sous la caméra de Wang (et la superbe photographie d’Aymerick Pilarski) prennent des atours métaphysiques voire mystiques.
Cette nuit au coin du feu offre un merveilleux basculement au long métrage. Tout en continuant de se focaliser sur la bergère, la seconde partie porte son regard avec plus d’insistance sur les véritables loups de l’histoire, à savoir les hommes. Wang panote toujours, cette fois plus lentement, moins malicieusement. Il laisse doucement notre regard découvrir ces hommes parlant d’une jeune stagiaire. La vue des hommes dans La Femme des steppes, d’abord moqueuse, devient plus cruelle, plus dure.
L’œuf du titre original (Ondög) prend tout son sens sur la dernière partie faisant un parallèle magnifique entre les dinosaures et nous, une espèce vouée à disparaître. L’angoisse diffuse prend sens, mais n’empêche pas un ultime espoir. Wang filme la fin d’un monde, des illusions mais aussi la beauté toute simple de l’humanité.
Jérémy Coifman.
La Femme des steppes, le flic et l’œuf de Wang Quan’an. Mongolie. 2019. En salles le 19/08/2020