LE FILM DE LA SEMAINE – The Crossing de Bai Xue (en salles le 12/08/2020)

Posté le 12 août 2020 par

Premier long-métrage de la réalisatrice chinoise Bai Xue, The Crossing sort sur nos écrans français aujourd’hui grâce à 3L Films-Distribution. Cette sensible chronique explore les affres d’une adolescence entre deux territoires et deux identités à travers son héroïne, « passeuse » improvisée entre Hong-Kong et la Chine continentale.

Peipei est une lycéenne de 16 ans qui vit avec sa mère à Shenzhen et étudie à Hong Kong. Avec sa meilleure amie Jo, elles rêvent de vivre un jour de Noël sous la neige au Japon. Alors que Peipei cherche du travail pour financer ce voyage, le petit ami de Jo lui propose de se faire de l’argent en passant illégalement des téléphones portables par la frontière. D’abord craintive, Peipei prend de l’assurance quand les entrées d’argent se font plus importantes…

Présenté en ouverture de la section Discovery du TIFF 2019, sélectionné à la Berlinale et récompensé des prix du meilleur film et de la meilleure actrice lors de la dernière édition du PYIFF, The Crossing arrive avec une bien jolie réputation. Celle-ci s’avère plutôt méritée. En effet, le film est une nouvelle preuve, s’il en fallait encore, de l’enthousiasmant dynamisme d’un jeune cinéma d’auteur chinois, se révélant au gré des sorties et des festivals (comme le Festival Allers Retours du mois de janvier 2020).

Diplômée de l’institut du film de Pékin en 2007 après avoir passé son adolescence dans le Shenzhen des années 90, Bai Xue a mené une investigation de plusieurs années autour du passage douanier entre le continent et Hong-Kong, et ses « usagers » quotidiens. La connaissance acquise lors de ce long travail en amont est amplement mise à profit par la cinéaste qui s’approprie les lieux avec aisance et familiarité. D’une manière quasi-documentaire, celle-ci capte les incessants déplacements et bribes de conversations (en anglais, cantonais, mandarin) de cette zone d’apparence « neutre » mais forcément empreinte des évolutions sociales et structurelles des deux territoires qu’elle relie. Plus que tout autre personnage, sa présence inévitable donne son rythme au film et accompagne la jeune Pei Pei (Huang Yao) dans son parcours initiatique. En lui prêtant des formes changeantes, refuge, opportunité, danger, à travers les expériences de son héroïne, Bai Xue confère un pouvoir symbolique à ce succinct passage. Si l’exploitation de cette dimension est parfois maladroite et n’est pas totalement tenue jusqu’au bout, elle constitue le point de départ d’une réflexion plus que pertinente et tout à fait passionnante.

En dépit de son sujet, le film refuse de verser dans le sensationnalisme et privilégie largement le traitement intime. La mise en scène s’emploie à retranscrire les étapes émotionnelles de sa protagoniste en construction, tout comme le scénario qui se resserre peu à peu sur l’action immédiate. Grâce à ce procédé, la cinéaste se permet alors de jouer sur les ambiances, passant de la mélancolie évaporée d’une comédie adolescente à une nervosité qui s’apparente davantage au thriller, ainsi que sur les perceptions. Ceci est particulièrement marqué dans la manière de filmer les deux univers dans lesquels l’adolescente évolue. Comme un miroir de sa relation complice mais déséquilibrée avec son amie, Hong Kong est clinquant, exubérant, faussement désinvolte, tandis que Shenzhen est désordonné, populaire, bouillant d’une tension parfois étouffante à laquelle la maison familiale et les lieux de trafic font échos. Au fur et à mesure que le film avance, les frontières se font plus poreuses et les marqueurs visuels plus discrets, donnant ainsi à voir le regard plus indulgent et équilibré de Pei Pei sur son monde et sur elle-même.

Bai Xue distille avec une grande délicatesse les bribes du malaise adolescent, accentué par un contexte social omniprésent et un besoin désespéré d’appartenir à un groupe, notamment lors d’une scène de fête qui permet d’aborder le virage dans la criminalité. Grâce à une utilisation efficace des moyens à sa disposition, de l’image au son, et d’un sens aiguisé du détail, la cinéaste parvient à rendre crédible la transition de  » bonne copine » effacée à délinquante entreprenante, sans sacrifier pour autant les hésitations et naïvetés qui l’accompagne. L’approche très sensorielle qui est adoptée dans la seconde partie contribue beaucoup  à cette réussite, en ce qu’elle mélange la transgression criminelle et la découverte des premiers émois de manière particulièrement frappante. De son ascension au sein du gang, sorte de bergerie remplie d’hommes mais dirigé d’une main de fer par une Fagin en jupons, à son idylle naissante avec son collègue passeur, le trouble s’infiltre durablement. Il culmine dans de touchantes scènes nocturnes, moments de pause semblant tout droit sortis de l’imaginaire romantique de l’adolescente encore inexpérimentée, et surtout dans une intense scène de contrebande à la folle sensualité.

Si la plus grande qualité de The Crossing est d’utiliser un environnement habituellement très politisé pour se concentrer sur sa variation sur l’identité, elle est aussi sa plus grande limite. En effet, le film multiplie les pistes narratives, la division sociale entre les deux amies, la double nationalité de Pei Pei, les rapports ambigus avec chacun de ses parents, l’économie souterraine entre Hong Kong et le continent, etc., et n’en exploite finalement aucune. Il échoue à réellement monter en tension et sa conclusion semble alors hâtive et plate. A l’issue du visionnage, The Crossing prend des airs de film « capsule », d’autant plus à la lumière de l’actualité récente du pays. La cinéaste parle finement d’un sujet universel mais donne le sentiment de passer à côté d’une dimension qui aurait permis d’ancrer davantage le récit dans son contexte très spécifique qui échappe finalement quelque peu à notre attention.

Le film pèche peut-être par un regard un peu trop tendre envers ses personnages, un peu trop retenu sur des sujets pourtant introduits par touches sans vraiment y donner suite, qui l’empêche de dépasser le simple statut de jolie chronique. Ce n’est déjà pas si mal mais tout de même décevant au vu des promesses que certaines scènes de ce coup d’essai semblent annoncer. A l’image de sa protagoniste, ce premier long-métrage impose calmement son caractère et l’étendue de ses ressources, pour un résultat qui touche particulièrement juste dans ses réussites et frustre inévitablement par les lacunes qu’il révèle en bout de course. Néanmoins, comme elle, il y a fort à parier que Bai Xue n’a pas dit son dernier mot.

Claire Lalaut

The Crossing de Bai Xue. Chine. 2018. En salles le 12/08/2020.

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