VIDEO – La Bataille de Jangsari de Kwak Kyung-taek

Posté le 10 août 2020 par

La Bataille de Jangsari fait son apparition en DVD. Deuxième volet de ce qui est annoncé comme une trilogie sur les grandes batailles de la guerre de Corée, le film succède à Memories of War de Lee Jae-han. La Bataille de Jangsari met en lumière un épisode méconnu de l’histoire coréenne avec application, à défaut de subtilité.

En septembre 1950, une unité d’infanterie spéciale composée de 772 jeunes élèves soldats à peine formés au combat, est envoyée à l’assaut des forces nord-coréennes sur la plage de Jangsari. Leur mission : mener une attaque pour détourner l’attention de l’ennemi tandis que la grande bataille, pilotée par l’US Army, aura lieu plus au Nord à Incheon. Après le succès de la bataille d’Incheon, le débarquement de Jangsari sera aisément classé secret défense, ses jeunes participants n’ayant jamais été immatriculés, jusqu’à ce que l’histoire soit rendue publique à la fin des années 80.

Sorte de face sombre de l’opération Chromite, la bataille de Jangsari est une illustration assez édifiante de la froideur stratégique avec laquelle les sacrifices de guerre sont exécutés puis balayés au nom d’une victoire plus importante. Le sujet est fort intéressant et propice à explorer des thèmes tels que les dérives du patriotisme, le choc de l’idéalisme face à la brutale réalité de la guerre ou encore de la position ambivalente des Nations Unies, et en particulier des Etats-Unis dans les conflits majeurs du XXème siècle. Ce n’est cependant pas l’objectif du projet qui choisit une approche plus littérale du film de guerre classique et du récit mémoriel. Tous les codes du genre, reconstitution minutieuse et hommage emphatique aux soldats tombés inclus, sont respectés à la lettre dans ce blockbuster relatant les étapes de l’opération jour par jour.

La première moitié du film, qui se concentre avant tout sur la bataille et ce régiment en sursis, est plutôt réussie. Kwak Kyung-taek introduit les enjeux et les protagonistes de manière concise et fluide (lors d’une séquence dans la cale du bateau, passant d’un étudiant à l’autre, dans un dispositif similaire à celui de Ryoo Seung-wan dans l’excellent Battleship Island). Le fameux débarquement arrive dès les 15 premières minutes. Ce choix, assez judicieux, permet d’imposer un rythme soutenu et de rapidement plonger le spectateur au cœur de l’action.

Quasiment sans musique, ces scènes retranscrivent bien le chaos et la panique régnant sur cette mission-suicide vantée à des adolescents comme une bataille destinée aux annales de leur pays. L’influence de références américaines, du Jour le plus long à Il faut sauver le soldat Ryan ainsi que les séries Band of Brothers et The Pacific sont immanquables sans rendre le résultat factice. La mise en scène parvient efficacement à ménager la tension lors de ces 45 premières minutes qui se concentrent sur la guerre et les actions de blocage de l’armée du Nord par le bataillon.

Néanmoins, les choses se gâtent sensiblement au fur et à mesure que l’on s’éloigne de cette séquence initiale. Il y a encore quelques bons moments dans les premières scènes montrant l’isolation progressive du régiment échoué. Hélas, les personnages sont assez uni-dimensionnels, souvent réduits à un trait de caractère (le héros, le rebelle, le taiseux, le comique, etc.) qui rend difficile tout réel attachement émotionnel. Le traitement de leurs questionnements et trajectoires sombre alors dans l’attendu et le caricatural. Ceci amène à un dénouement souffrant d’un pathos excessif (comme les films d’époque coréens peuvent avoir la tentation de le faire) qui nous désinvestit de l’action, aussi dramatique soit-elle, et rend le message confus et manichéen.

Les pistes intéressantes ne manquent pourtant pas, notamment du côté des quelques « vrais » soldats de la troupe qui tentent au mieux de préserver les élèves parfois inconscients, alors qu’ils sont eux-même dépassés par la situation. Les éléments sont disséminés ça et là sans que l’on ne s’y attarde jamais, comme pour cocher les cases du cahier des charges d’un scénario trop balisé pour être complètement incarné. Le personnage du commandant Lee, incarné par Kim Myung-min, est un bon exemple de ce gâchis d’opportunités narratives. Militaire convaincu, il voit ses certitudes ébranlées alors que son sens du devoir est tiraillé entre son pays et ses hommes, sans formation, qu’il a consciemment envoyés à une mort certaine. Cette figure d’autorité tragique aurait dû ancrer le film et pourtant son écriture ne permet pas de lui donner une ampleur nécessaire à le rendre inoubliable.

Le plus gros problème du film réside cependant incontestablement dans la partie « américaine » qui voit une reporter de guerre (interprétée par Megan Fox) passer par toutes les administrations pour commenter la situation et ses implications. Son personnage, comme celui du colonel en charge des opérations (George Eads) sont des additions superflues dont la seule fonction est de surligner, à travers des dialogues particulièrement lourds, ce que le film souhaite montrer. Ces scènes utilitaires, heureusement peu nombreuses (bien que ce soit déjà trop), s’insèrent très maladroitement dans le récit et ont surtout pour effet de nous sortir du film de manière intermittente. Elles sont privilégiées au détriment de petits moments entre les soldats bien plus forts que toutes ces platitudes, probablement imposées par la nécessité d’une « caution US » dans cette co-production.

La Bataille de Jangsari remplit, malgré tout, honorablement son contrat d’action spectaculaire, sans révolutionner le genre mais loin de le déshonorer non plus. Très bien documenté, le film est d’une bonne facture classique et a le mérite d’éclairer un pan injustement oublié de la guerre de Corée. Sincère dans sa démarche et louable dans son discours, son exécution aurait gagné à avoir autant de point de vue que de bonnes intentions.

Claire Lalaut

La Bataille de Jangsari de Kwak Kyung-taek. Corée. 2019. En DVD le 10/08/2020 chez Program Store.