Partenariat entre le département animation de DC Entertainment et une prestigieuse sélection d’artistes japonais, Batman Ninja, réalisé par Mizusaki Junpei, dévoile un délire graphique surprenant et inattendu jusqu’au final déjanté et assumant une prise de risque sans nuances. C’est disponible en VoD !
Dans cette toute nouvelle histoire, Le Chevalier Noir voyage dans une contrée régie par les Samouraïs et les Ninjas. La machine à voyager dans le temps de Gorilla Grodd a un dysfonctionnement et envoie un groupe de vilains, fous et tyranniques, dans le passé au temps du Japon médiéval. Le plus dépravé du groupe, Lord Joker, recherche la domination totale de l’Etat féodal et la destruction finale du légendaire Batman. Avec son arsenal technologique diminué, est-ce que le Justicier Masqué pourra empêcher Lord Joker et les autres vilains de réécrire l’histoire ?
DANS L’ OMBRE DE LA LUNE
Adapté en deux tomes par Hisa Masato l’année suivant sa sortie (2018 et disponible chez KANA), Batman Ninja est le projet dangereux par excellence. C’est plus qu’un euphémisme que de souligner, malgré l’accointance du héros masqué de Gotham avec les arts ninja et la tradition martiale nippone, que toute relecture du macrocosme du brave Bruce Wayne risque de titiller le transit intestinal des érudits les plus exigeants. Enfin né d’une épreuve de trois ans de production entre Warner Bros et Kamikaze Douglas, le film dévoile son premier teaser au Comic Con de New York et devient visible en avril 2018. Ne laissant personne indifférent, l’œuvre de Junpei plonge notre héros masqué préféré (après, concédons-le, une exposition des plus fainéantes) dans un monde jusque-là inconnu, le Japon féodal. Un bonheur n’arrivant jamais seul, Batou, comme le nomme souvent son ennemi préféré, réalise que dans cette uchronie, ni ses gadgets high-tech, ni le répit de ses adversaires les plus célèbres ne lui faciliteront la tâche.
Le film est narré dès l’entame (en VF) par la voix la plus suave, la plus sexy, la plus enivrante de toutes les doubleuses de la planète, celle de Françoise Cadot (ici Catwoman), également doubleuse de Michelle Yeoh dans Tigre et Dragon ou Gong Li dans Mémoires d’une geisha et 2046. Le choix est particulièrement pertinent. La découverte de l’OVNI commence ainsi sur les meilleurs auspices malgré une exposition expédiée à la vitesse d’un batarang. Sublimé par une direction artistique particulièrement inspirée (nous y reviendrons), le film détonne de prime abord grâce à un humour inattendu !
Du délire capillaire des graphistes (le look de Robin en Punk à chien, la queue de cheval d’Alfred…) à un Batman en pleine galère pour accrocher son grappin, des répliques plus ou moins réussies (« ce n’est pas Yes we can mais Shuriken » dixit Joker…) aux pop-up made in Street Fighter pour l’apparition des personnages principaux : le film (et c’est sans doute la sa plus grande qualité), assume dans un jusqu’au-boutisme à saluer ses choix. Enivré par une animation incroyablement fluide et détonante, certaines planches sont de purs moments de grâce : Batman suspendu sous un ponton, Joker éclairé par la lune… Batman Ninja en devient un vrai régal pictural. Enfonçant le clou avec un mixage audio de grande qualité (synchronisation labiale, thèmes oppressants, intensité du doublage japonais), l’aventure scénarisée de Nakashima Kazuki et la musique de Yugo Kanno sont, sur ce point, presque inattaquables. La dernière fondation du colosse de la ville de tous les vices est donc sans aucun doute l’inventivité graphique du long-métrage. Dirigée de mains de maître par le génial chara designer Okazaki Takashi (Afro Samourai) et deux animateurs en chefs au diapason (Sakamoto Ryusuke et Yoshino Koichi), l’animation et ses trouvailles incessantes apportent au rythme du film une plus-value incontestable, notamment la transition graphique du milieu de métrage « en mode Kill Bill ». Utilisant la facile mais judicieuse idée (comme dans la saison 5 de la série Gotham par exemple) de découper le parcours du chevalier noir en quartiers où chacun des grands méchants règne en maître, Batman Ninja proposera d’autres artifices de narration. Le bris du quatrième mur et la découverte de l’inattendu dernière demi-heure achèvera alors un spectateur au souffle court. Pour autant, le film n’est in fine pas exempt de défauts…
BATMAN VS NINJA : le défi à double face
Souvent audacieuse, la direction artistique, pourtant dans le haut du panier, manque ainsi souvent de subtilité pour accéder au panthéon des œuvres animées marquant leur temps. Citant (souvent avec pertinence mais aussi maladroitement) ad nauseam nombre d’œuvres mythiques, comme Robot Carnival, Le Château ambulant, Pandemonium ou The Dark Knight, le film flirte trop souvent avec le pur plagiat : les estampes du Conte de la princesse Kaguya, l’interface des jeux Rocksteady ou les célèbres courses de Naruto pour ne citer qu’eux. Nul doute également que la découverte de Batman en mode ronin aurait été des plus appréciables lors d’une exposition progressive de l’intrigue, administrant à son récit subtilité et créativité… Au lieu de ça, le cinéaste décide de sacrifier son récit sur l’autel de la surenchère graphique. Ainsi, point de whodunit, de flashforward ou de twists mettant le spectateur KO.
Tout est prémâché, expliqué, dissolvant toute velléité narrative dans un déroulé fade et bien trop convenu (si ce n’est la cerise finale). Pourquoi ainsi, alors qu’on se plaît à espérer une aventure inédite d’un Batman sans sidekicks, sans gadget ni technologie high-tech ne pas avoir abandonné notre héros ? Échoué, sans repères ni phare dans un univers médiéval où la réappropriation des bases de son apprentissage permettrait à notre héros une véritable renaissance propre à enfin procéder à sa catharsis ? Pourquoi avoir sacrifié un Bane devenu Sumo en quelques secondes ?
Le récit restera à n’en point douter l’axe de progression d’une éventuelle suite. Que ce soit par une écriture de dialogues quelconque (voir pauvre à certains moments), l’identification d’un Joker manichéen ou la pirouette de l’ancienne prophétie, Batman Ninja aurait gagné à prendre autant de risque dans son récit sur les deux premiers tiers du film que dans son final, osé et enfin courageux. Manquant parfois le coche de peu, cette œuvre indéfinissable évoque avec maladresse mais sincérité tous les thèmes récurrents de l’orphelin brisé. La perte de repères, le vernis toujours plus friable des masques de cire de ses compagnons d’infortune, ou la répétition ad vitam æternam des mêmes drames malgré un nouvelle temporalité sont donc, une nouvelle fois, les fourches caudines du chemin de croix de Bruce Wayne.
Ne sachant jamais choisir son cap, du chanbara au caprice kaiju, sans non plus parvenir à une narration affûtée comme celle du chef d’œuvre de Scott Snyder et Greg Capulo (La Cour des hiboux), Batman Ninja est un film imparfait. Sa fraîcheur et son audace font pourtant du bien dans un création mondiale standardisée faite de suites de suites, de remakes ou de préquels. Que les fondateurs du projet en soient alors les premiers remerciés.
Jonathan Deladerrière.
Batman Ninja de Mizusaki Junpei. Japon. 2018. Disponible sur Netflix et MyTF1