Le Vidéoclub Carlotta s’étoffe peu à peu de films asiatiques, pour notre plus grand plaisir. Retour sur Été précoce, pendant lumineux et positif de Printemps tardif où Ozu exprime toujours cette même chaleur pour ses personnages.
Noriko (Hara Setsuko), 28 ans, est secrétaire dans une petite compagnie à Tokyo. C’est une jeune femme moderne mais elle vit encore chez ses parents, tout comme son frère, sa femme et ses deux enfants. Elle subit de fortes pressions de la part de sa famille ; en effet, il n’est pas raisonnable à cet âge de ne pas encore s’être mariée. Mais la jeune fille se réjouit de son indépendance et préfère trouver elle-même son futur époux. Son patron lui propose un bon parti de sa connaissance mais Noriko refuse…
Dans la lignée des thématiques de son cinéma de cette dernière et plus populaire période de sa filmographie, Été précoce est l’occasion pour Ozu de scruter les bouleversements de la famille japonaise. Il offre en fait un pendant lumineux à son précédent Printemps tardif (1949) dont il reprend le ressort dramatique de la jeune fille à marier sur un ton plus léger. On y suit le destin de Noriko (Hara Setsuko, actrice fétiche d’Ozu et tenant le même type de rôle que dans Printemps tardif justement où elle se nommait déjà Noriko) jeune célibataire de 28 ans, vivant encore chez ses parents en compagnie de son frère, son épouse et leurs deux enfants. Noriko fait le désespoir de son entourage par son insouciance quant à ce qui leur semble une anomalie à résoudre au plus vite, son célibat. L’horloge n’est pas ici biologique mais sociale et où une jeune femme ne peut s’émanciper et grandir qu’en quittant le foyer par le mariage. Ozu n’en fait pas un motif mélodramatique appuyé, le ton est plutôt léger pour une narration s’inscrivant dans le quotidien et où cette presse prend la forme de taquineries et d’allusions anodines. La vie de famille se déroule ainsi paisiblement, la caméra d’Ozu se promenant avec sobriété à coup de plans fixes où seuls les personnages s’agitent pour vaquer à leurs occupations.
En s’attardant sur certains de ces instants quelconques, Ozu capture les liens profonds qui unissent cette famille à travers une caractérisation se faisant tendre, amusée mais également critique. Les personnages des parents expriment ainsi une génération apaisée après les années de guerre et où le mariage s’inscrit dans une logique traditionnelle même si la perte d’un fils durant le conflit leur fait apprécier d’avoir leur famille encore ainsi réunie. Le frère Koichi (Ryu Chishu) voit lui le célibat de sa sœur d’un mauvais œil car s’inscrivant dans une volonté d’émancipation de la femme japonaise que l’homme n’est pas encore prêt à accepter, la nature indépendante de Noriko et sa modernité (ici bien plus émancipée que dans Printemps tardif) en autre par ses habillement à l’occidentale. Là encore Ozu le traduit par une certaine légèreté où Noriko et sa belle-sœur le taquine gentiment sur sa raideur, et lui de s’offusquer que les femmes se montrent désormais plus impudentes depuis l’après-guerre. Cette rigueur s’exprime également dans l’éducation de ses enfants, Ozu nous confrontant à nouveau à un duo de gamins espiègles et insolents (dans la lignée de ceux de Gosses de Tokyo (1932) et précédent ceux de Bonjour (1960)) s’opposant à leur père. La tendresse et l’expression des sentiments semblent être l’apanage des femmes, à l’image de ce moment où les enfants fuguent et où le père pourtant tout aussi inquiet par jouer au jeu de go chez un ami et laisse son épouse et sa sœur les chercher.
Ozu montre l’ancrage de cette mentalité par les échanges entre Noriko et son amie Aya (Awashima Chikage) tout aussi célibataire qu’elle s’opposant à leurs amie mariées et dont les rencontres sont soumises aux dispositions de leur époux. Là encore le tout s’exprime par une certaine légèreté par des dialogues amusant et où le réalisateur capte une vérité certaine les échanges badins de ces jeunes femmes modernes. Le fil conducteur du film sera la demande en mariage d’un riche prétendant ami du patron de Noriko pour laquelle l’intéressée montre une tranquille indifférence tandis que son entourage s’agite, la sonde et l’incite insidieusement à choisir ce parti avantageux. Ozu illustre ces manigances par un effet de dissimulation et de coulissement du décor dans la demeure familiale, chaque conversation sur le sujet révélant un auditeur caché guettant un signe positif de Noriko et l’impudent se révélant dans la profondeur où la largeur de la pièce par un subtil mouvement de caméra. Noriko semble comme flotter au-dessus de ces préoccupations et est une sorte de miroir lumineux de cette atmosphère de début d’été (magnifique visions de cette région de Kamakura où vécu Ozu et où il est enterré) sur laquelle ces supposées obligations n’ont pas prise. Hara Setsuko par sa présence solaire et souriante efface tout ce que la situation pourrait avoir d’oppressant pour l’héroïne et, lorsqu’elle se décidera enfin à lier son cœur à un autre, ce sera avec une spontanéité enfantine, sincère et répondant à un vrai amour. Une décision qui prendra de cours sa famille tout comme sa longue attente avait pu l’agacer, et concluant le film dans une douce mélancolie où cette séparation tant attendue sera un déchirement. La vie aura fini par rattraper cette famille qui voit les routes de ses membres prendre des chemins différents mais, tout comme cet été touchant à sa fin est amené à revenir, ils se retrouveront car leurs liens sont indéfectibles. Ozu offrira une ultime variation sur le même thème avec un de ses derniers films Fin d’automne (1960).
Justin Kwedi.
Été précoce d’Ozu Yasujiro. Japon. 1951. Disponible sur plateforme Vidéoclub Carlotta