Edito – Billet dur : cher Jean-Baptiste Morain (auteur de la critique du Vent se lève dans Les Inrockuptibles)

Posté le 4 février 2014 par

« Où est le cool ? » se demande-t-on dans ton journal. La semaine passée, il était peut-être dans Les Inrocks 2, spécial « Miyazaki et les maîtres de l’animation japonaise », mais certainement pas dans ta critique du film Le vent se lève. Il m’a vraiment fallu plusieurs lectures de ton premier paragraphe pour savoir de quoi et de qui tu parlais :

« Il existe encore quelques spectateurs dans nos contrées qui détestent ou repoussent le dessin animé japonais par principe, par préjugé ou expérience malheureuse. Certes, le film d’animation japonais, mais pas plus que ses compères occidentaux, aime souvent la mièvrerie. Le nouveau film d’Hayao Miyazaki, le grand maître du genre, devrait pourtant leur plaire. Non que Le vent se lève soit dénué de cette sentimentalité qui nous paraîtrait insupportable dans tout film européen. Mais ce sont les conventions du genre, comme les gestes accentués dans les films Bollywood le sont aussi. Pourtant, la complexité des sentiments souvent exprimés dans ce film-ci, un véritable chef-d’œuvre, devrait tous nous réconcilier avec ce cinéma (…). Certes, Miyazaki préfère toujours la charge comique au discours politique… »

Certes, la suite de ton papier redresse la barre, mais avoue : cette intro, tu l’as écrite pour Télérama en 1995 ? À la rigueur, on remplace Le vent se lève par Porco Rosso en se replaçant 20 ans en arrière dans un journal qui voulait interdire la diffusion du Club Dorothée, on peut comprendre. Mais aujourd’hui, même les lecteurs du Figaro savent que, comme tu le sous-entends si bien, les films de Miyazaki, ce n’est quand même pas la même chose que le tout venant du cinéma d’animation japonais. Remarque, je te comprends, vu que c’est son dernier film, c’était ta dernière chance de la placer, cette entrée en matière qu’on a dû te refuser partout à l’époque, les préjugés sur les « japoniaiseries » étaient quand même alors plus forts.

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Mais bon, loin de casser ces préjugés, tes certes à répétitions ont plutôt tendance à leur donner raison. D’où sors-tu d’ailleurs cette sentimentalité comme passage obligé du genre ? (et quel genre d’ailleurs ? Le cinéma d’animation japonais est un art, peut-être, une industrie, certainement, mais un genre ? Toi aussi, on t’a envoyé un SMS trompeur sur la théorie du genre, ou quoi ?) À la rigueur, parler de constante dans le cinéma de Miyazaki, passe encore, mais en faire un lieu commun qu’il arriverait, par son génie créateur, à dépasser, c’est à se demander si tu as vu plus de 3 animes dans ta vie. T’imagine ce que ça donnerait si toute critique des Inrocks commençait avec cette accroche ?

Fleurs d’équinoxe :

« Il existe encore quelques spectateurs dans nos contrées qui détestent ou repoussent le cinéma japonais par principe, par préjugé ou expérience malheureuse. Certes, le film japonais, mais pas plus que ses compères occidentaux, aime souvent la lenteur. Le Yasujiro Ozu, le grand maître du genre, devrait pourtant leur plaire. Non que Fleurs d’équinoxe soit dénué de cette staticité ennuyeuse qui nous paraîtrait insupportable dans tout film européen. Mais ce sont les conventions du genre, comme le nombrilisme du cinéma français l’est aussi. Pourtant, la complexité des sentiments souvent exprimés dans ce film-ci, un véritable chef-d’œuvre, devrait tous nous réconcilier avec ce cinéma (…). Certes, Ozu préfère toujours la charge intimiste au discours politique… »

Dark Star :

« Il existe encore quelques spectateurs dans nos contrées qui détestent ou repoussent le cinéma de science-fiction par principe, par préjugé ou expérience malheureuse. Certes, la S.-F., mais pas plus que ses compères dramatiques, aime souvent les histoires rocambolesques et absurdes filmées avec peu de moyens. Le John Carpenter, le grand maître du genre, devrait pourtant leur plaire. Non que Dark Star soit dénué de cette bêtise puérile qui nous paraîtrait insupportable dans tout film sérieux. Mais ce sont les conventions du genre, comme le nationalisme du cinéma chinois l’est aussi. Pourtant, la complexité des sentiments souvent exprimés dans ce film-ci, un véritable chef-d’œuvre, devrait tous nous réconcilier avec ce cinéma (…). Certes, Carpenter préfère toujours les monstres de l’espace au discours politique… »

On a vu mieux pour chasser les préjugés d’une poignée d’irréductibles hermétiques à un cinéma qu’il ont eu plus de 20 ans pour découvrir quand même ! D’autant que je serais curieux de savoir qui ils sont vraiment, ces lecteurs des Inrocks qui rejettent l’animation. Parce que bon, à part des personnes qui ne sont pas sensibles aux dessins-animés et que la vision de tous les chefs-d’œuvre du monde ne ferait pas changer d’avis, je ne vois pas trop de qui il s’agit en fait… Et à lire ton texte de plus près, à considérer la manière dont tu portes crédit à leurs arguments imaginaires, un petit doute m’assaille : et si ces « quelques spectateurs dans nos contrées qui détestent ou repoussent le dessin animé japonais par préjugé », ce n’était finalement pas toi-même, opérant ton coming-out critique sur l’animation japonaise ? On ne peut dans ce cas que t’en féliciter, même si tu aurais quand même dû laisser par exemple la main sur ce papier, et te conseiller notre Podcast sur Le vent se lève : on cite quelques autres cinéastes d’animation japonaise qui devraient te plaire. Et je te garantis que leurs films sont loin de la mièvrerie que leur impose le genre !

Je t’embrasse pas, tu risques de trouver ça trop sentimental.

Victor Lopez

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