Festival Allers-Retours 2020 – A First Farewell de Wang Lina : universalité

Posté le 8 février 2020 par

Dans A First Farewell, la réalisatrice Wang Lina filme sa région natale : le Xinjiang, peuplé par la minorité musulmane ouïghoure. Après avoir remporté le Grand Prix de la sélection K-plus au Festival de Berlin, nous l’avons vu lors de sa projection parisienne au Festival Allers-Retours du cinéma d’auteur chinois.

Dans la province du Xinjiang, des enfants de familles paysannes vivent une vie douce à l’écart du bruit des villes. Leurs parents s’inquiètent cependant : comment s’intégrer en Chine sans parler correctement le mandarin ? Derrière le dur labeur du travail dans les champs, ils rêvent d’une vie meilleure pour leurs enfants.

A First Farewell est avant toute chose une fable sur l’enfance. Nous suivons deux jeunes acteurs principaux : le berger, fils de la femme sourde muette, et sa petite voisine, la fille à la robe rouge. Comme nous le disions pour The House of Us de Yoon Ga-eun, remarquable film de clôture au Festival du Film Coréen à Paris, diriger des enfants au cinéma est un défi terriblement difficile, et c’est un exercice qui n’est pas donné à tous les réalisateurs, y compris aux plus grands. Wang Lina s’en sort avec les honneurs, car ses deux héros sont terriblement attachants. La première longue scène, où la mère du garçon qui n’a plus toute sa tête s’enfuit de la maison et où ses enfants la recherchent à travers le voisinage et la forêt, est admirablement mise en scène. Au crépuscule, le petit berger, hurle le nom de sa mère de sa voix éraillée, et nous voyons seulement son ombre sur le fond d’un ciel chatoyant. Ce plan est de toute beauté et génère des émotions brutes. Entre le remord de ne pas avoir assez surveillé la maison et l’amour filial derrière ce cri à plein poumons, le portrait de notre héros s’établit : il déborde de sentiments pour sa famille et il a bon cœur de s’en vouloir alors qu’il faisait simplement son travail de berger à côté. C’est un personnage aux sentiments purs. La fille à la robe rouge, avec laquelle le berger joue souvent, arbore des mimiques et un phrasé aussi drôles que mignons. Personnage plein de couleurs, elle est autant mise en valeur par la réalisatrice et une synergie s’opère avec le berger. À travers ces enfants, nous pouvons voir n’importe quels enfants du monde, car A First Farewell n’est pas totalement un film de carte postale. Il joue certes sur des décors exotiques somptueux, mais il parle de l’humain, dans sa dimension la plus universelle.

À ce titre, les personnages des parents ne sont pas moins importants. Ceux du berger sont assez âgés et on les voit finalement peu. Ils sont comme dépassés par la difficulté de leur condition et ce sont leurs enfants qui tiennent le foyer à bout de bras. C’est pourquoi envoyer le plus jeune en pensionnat pour l’instruire n’est pas envisageable pour eux, dans un premier temps. En revanche, les parents de la fille à la robe sont plus jeunes et travaillent dans les champs de coton. Ils sont conscients qu’ils ne s’élèveront plus dans la société et c’est pourquoi ils imaginent un avenir meilleur pour leur progéniture. Ces préoccupations sont simples et fortes, et traversent le cinéma depuis les origines. Au hasard, pensons au néo-réalisme italien. Dans A First Farewell, un tel usage de thèmes fondamentaux fonctionne car la sincérité de la réalisatrice traverse la pellicule, que ce soit par l’écriture toute en tendresse de ses personnages comme le choix d’un hommage à sa région natale pour son premier long-métrage, un sujet somme toute assez personnel et un lieu rare au cinéma.

Le ton est donné, A First Farewell dressera une peinture douce des Ouïghours, leur quotidien, leurs préoccupations, leurs ressentis face à leur appartenance à la Chine. Par petites touches, Wang Lina dessine les contours d’un peuple méconnu. Mais plus que cela, A First Farewell est un film sur l’amour filial, la responsabilité au sein d’une famille, sur le rôle des enfants dans les familles pauvres. Des thématiques mille fois abordées déjà, mais qui à travers la fraîcheur de la caméra de Wang Lina, trouve toujours une pertinence. Doté d’une photographie lumineuse, de plans sur le désert et la nature, A First Farewell s’attache toutefois plus au sort de ses protagonistes qu’à la contemplation. Un juste milieu est trouvé pour ce qui est un charmant film de personnages.

Une interrogation demeure : peut-on à ce point parler des ouïghours sans évoquer l’actualité, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un film de nationalité chinoise et qui a passé le bureau de censure ? Gardons cela à l’esprit pour préserver notre prise de hauteur.

Maxime Bauer.

A First Farewell de Wang Lina. Chine. 2018. Projeté au Festival Allers-Retours du cinéma d’auteur chinois 2020.

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